Le quatorzième film des frères Coen, sans être autobiographique, est certainement le plus personnel de leur filmographie. Ils ont choisi de situer l’intrigue dans le Minnesota, l’état où ils ont passé leur enfance, en 1967, quand ils avaient 10 et 13 ans, et parmi la communauté juive implantée au cœur de lotissements évoquant celui d’ « Edward aux mains d’argent ». Comme Larry, leurs parents étaient universitaires, et s’ils n’ont pas pu tourner dans la synagogue où ils avaient passé leur bar mitzvah, c’est parce qu’elle est devenue une église…
Le film s’ouvre sur un conte en yddish qui se passe dans un shtetl polonais, l’histoire d’un paysan qui a invité un homme qui l’a aidé, et qui découvre qu’il s’agit peut-être d’un dibbouk, l’âme errante d’un mort. Ethan en explique la genèse : « Nous avons pensé qu’une petite histoire complète serait une bonne introduction pour notre film. Et puisque nous ne connaissions aucun conte folklorique yiddish qui convienne, nous avons inventé le nôtre.» Joel ajoute : « Ce conte n’a aucun lien avec ce qui suit, mais il nous a aidés à réfléchir au film et à l’installer.»
Cet absence de lien avec l’intrigue principale, et même l’absence de fin de ce conte, représente une caractéristique de la plupart des histoires insérées dans le film, à l’image de l’histoire des dents du goy racontée par le deuxième rabbin à un Larry médusé qui, comme tout bon spectateur, s’étrangle d’indignation devant l’obscurité du message. Le film lui-même se termine dans une double incertitude, dont chacune aurait pu donner lieu à un autre film (« Twister » et « La famille Wolberg », par exemple).
Le spectateur se voit ainsi placé dans la situation de Larry : chaque question amène non pas une réponse, mais une autre question : « Pourquoi soulever ces questions si on n’en connait pas les réponses ? », constate un rabbin. C’est cet appel à l’intelligence qui explique peut-être le décalage entre le très bon accueil de la critique et celui plus partagé des internautes. Moins délirant que « The Big Lebowski » ou « Fargo », « A Serious Man » est construit comme une mécanique de précision, et il permet de mieux comprendre le travail des frères Coen depuis « Sang pour Sang », cette impression de grand n’importe quoi qui finit toujours par prendre son sens.
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