Les traductions de titres sont un bon moyen de se rendre compte du mal qu'on peut faire à une œuvre : chez les anglophones, "Amour à vendre" la fait passer pour une comédie. En Allemagne et en Pologne, c'est "Suely dans les nuages", une tentative presque de mauvais goût de rappeler le concept original en grossissant la part de rêve.
En France, on reste heureusement fidèle au titre original : Le Ciel de Suely. Mais quel est ce ciel ? On y trouve des petits nuages inchangeants au-dessus de l'aridité de la ville. "Ici commence Iguatu", indique un panneau, mais ici commence aussi un morceau de la vie d'Hermila, alias Suely, jeune femme qui vit dans la prolongation d'un bonheur qui déborde.
Un happy end servant à nous laisser seul avec notre imagination, on est toujours forcés de créer soi-même ce qui vient après, ce qui est parfois insuffisant. Mais si on y touche, il se brise : faire une suite, par exemple, c'est repartir de zéro.
Si j'en parle ici, c'est parce que l'œuvre d'Aïnouz commence par un happy end et veut nous laisser flotter dans le flou nostalgique qui s'attarde après lui, ce qui, traditionnellement, se produit juste dans l'esprit du spectateur pendant le générique et après lui. On dit que le portugais est une des rares langues qui a un mot pour ce sentiment : "saudade". C'est la nostalgie confuse, un manque d'on-ne-sait-quoi. Un mot qui reviendra d'ailleurs quand l'être cher à Suely lui manquera, et qui disparaîtra quand la désillusion s'installera peu à peu.
Le bout d'histoire de Suely va alors se dérouler. Elle sait d'où elle vient et où elle va, contrôle son environnement et ne se laisse pas faire, mais on partagera avec elle une période où le doute se fera une place à la jonction entre le happy end de départ et... peut-être un autre happy end.
Mais celui-là appartient à une autre histoire, dans la continuité du moment où elle quitte la ville et finit par se délivrer de son emprise sur le temps qui passe - propriété commune à toutes les petites villes isolées des Amériques. Là finit le film, mais là commence vraiment l'histoire de Suely. D'ailleurs, le panneau ne dit pas que là finit Iguatu. Il dit : "ici commence le manque d'Iguatu". Ce manque, c'est saudade.
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