Si 30% du corps de Dren est en images de synthèse quand elle est adulte, et 50 % quand elle est enfant, le personnage est entièrement fait en images de synthèse quand elle est encore un nourrisson et un bébé qui apprend à marcher. Le directeur des effets spéciaux de Splice, Bob Munroe, explique : "La grande innovation a en fait été ses yeux. Nous avons élargi les yeux de Delphine au-delà de la norme humaine, et remplacé les yeux de Dren quand elle est enfant par ceux de Delphine en utilisant une technique conçue par le superviseur de l’infographie Terry Bradley. Le résultat est saisissant, je n’avais jamais rien vu de pareil." La société C.O.R.E. a aussi créé les effets visuels relatifs aux autres parties du corps de Dren. Bob Munroe poursuit : "Nous avons ajouté une section supplémentaire aux jambes de Dren pour créer une troisième articulation, et une queue qui est à 100 % en images de synthèse quand elle est adulte, et à 80 % quand elle est enfant. Nous avons aussi retiré son nombril parce qu’elle n’a pas été conçue dans un utérus (une idée de Bob Munroe), ainsi que le quatrième doigt de ses deux mains, et ajouté des ailes." Pour ceux qui suivent de près l’évolution des effets visuels, le meilleur exemple montrant la façon dont les parties du corps sont remplacées dans Splice peut être vu dans le film de Guillermo Del Toro: Blade 2 (dont Bob Munroe était aussi le superviseur des effets visuels).
La science-fiction a souvent malmené les concepts et les limites de la vraie science. Durant les dix années qui lui ont été nécessaires pour porter son projet devant les caméras, Vincenzo Natali a vu, grâce aux progrès de la génétique, l’idée centrale de son film quitter le domaine de la science-fiction pour devenir un fait scientifique: "Quand j’ai écrit cette histoire pour la première fois en 1995, personne ne parlait de clonage. Deux ans plus tard, en 1997, le monde découvrait Dolly, le mouton cloné, et en 2001 les scientifiques annonçaient qu’ils avaient quasiment terminé le séquençage complet du génome humain (...) Dans le film, tous les éléments scientifiques sont aussi réalistes que possible parce que cette histoire pourrait très bien arriver demain." Toutefois, comme Splice est un drame et non un documentaire, certaines réalités scientifiques ont été revues pour faciliter la fiction : par exemple, Clive et Elsa parviennent à créer Dren assez rapidement alors que des centaines de tentatives ont été nécessaires pour créer Dolly. De même, leur technique pour combiner les ADN n’est pas réaliste, bien que le généticien George S. Charames, consultant sur le film, reconnaisse qu’elle soit possible. Pour les cinéastes, il était important que dans Splice, rien ne soit impossible. Quand on entre dans les détails de la théorie qui a donné naissance à Dren, on découvre que 90 % du génome humain (l’ADN de toutes les cellules d’un corps humain mis bout à bout pourrait s’étirer de la Terre à la lune) contient des informations accumulées depuis l’aube de notre évolution qui restent non traduites. Ces séquences d’ADN non codant sont parfois improprement appelées "ADN poubelle". Vincenzo Natali note : "Dren est une sorte de montage biologique, et malheureusement, le mélange des ADN déclenche chez elle des modifications génétiques qu’Elsa et Clive n’avaient pas anticipées". Pour le scientifique George S. Charames, "Les gens ne réalisent pas que la création de chimères humain-animal est devenue un sujet d’actualité. Si la science a été capable de résoudre des problèmes tels que l’immunologie inter-espèces et les barrières éthiques soulevées par la recherche, alors Splice devrait bientôt devenir une réalité.
Delphine Chaneac a trouvé le rôle à la fois très simple et très compliqué, puisque en plus des aspects dramatiques de Dren, l’actrice a dû s’habituer à jouer avec des jambes à triple articulations, trois doigts, une queue et des ailes. Bien qu’elle n’ait aucun dialogue, Delphine Chaneac s’est inventé un langage fait de trilles et de ronronnements pour communiquer une large palette d’émotions. L’actrice raconte : "Pour moi, c’est avant tout une histoire d’amour. Dren veut aimer et être aimée, mais elle est aussi tenue à distance parce qu’elle n’est pas normale. Elle est très sensible et pure, comme un enfant, et en même temps très agressive. J’aime beaucoup ce personnage parce que je me retrouve dans ses sentiments, elle me ressemble. Jouer toutes ces émotions demandait beaucoup de concentration parce que je devais porter des prothèses très contraignantes."
Pour incarner la créature au centre de toutes les attentions dans le film, finalement interprétée par la française Delphine Chaneac, il fallait que l'actrice réponde à certains critères spécifiques selon le réalisateur, dont une beauté tout à fait particulière, pour atteindre un équilibre entre humain et non-humain: " La beauté - mais pas dans le sens où nous l’attendons - et un peu d’androgynie. Finalement, on marche un peu sur un fil, car j’aimerais que les spectateurs, homme et femmes, soient attirés par Dren, et que, quelque soit leur sexe, ils se sentent un peu coupables. L’équilibre était donc difficile à créer : si on allait trop loin dans son côté monstrueux, elle pouvait devenir répulsive, mais si on accentuait son côté humain, alors elle ne l’était pas assez. C’est le mariage délicat de ces deux émotions que Dren devait personnifier. Et Delphine possède ses qualités. C’est une très belle femme, mais elle a ce quelque chose d’un peu androgyne, un peu comme David Bowie, qui lui donne à mes yeux un je ne sais quoi qui n’est pas humain. Je suis sûr qu’elle va vers son androgenèse. (rires) Comme l’espèce humaine d’ailleurs ! Je suis sûr qu’un jour, elle va muter vers une forme polymorphe… Dren, dans mon esprit, est la prochaine étape de l’évolution. Pour autant, je ne savais pas vraiment ce que je cherchais. Finalement, je ne l’ai su qu’en la voyant. Ironie de la chose, quand je suis venu à Paris pour le casting, la première personne qui est entrée dans la pièce est Delphine. Mais c’était trop beau, alors je me suis senti obligé de voir d’autres personnes. (rires) Pour finalement revenir à elle. Elle est incroyable. Elle a effectué une performance inouïe", avoue-t-il.
Le réalisateur a opté pour une créature physique, interprétée par une actrice et non une créature digitale faite à l'aide d'effets numériques. Vincenzo Natali revient sur les raisons de ce choix qui s'est immédiatement imposé à lui: "En fait, la question ne s’est jamais posée. D’une part, car cela aurait coûté beaucoup trop cher, d’autre part jamais nous n’aurions obtenu une créature à laquelle le spectateur puisse se lier émotionnellement. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour utiliser de vrais gens ou des effets spéciaux mécaniques. Je suis un grand fan des effets spéciaux numériques. Mais j’ai le sentiment qu’ils sont toujours mieux utilisés quand ils ne sont pas là pour mimer le réel, surtout dans un film comme celui-ci. Je ne voulais pas que Dren soit fantastique. Si Gollum fonctionne dans Le Seigneur des anneaux, c’est qu’il s’agit d’un film d’heroic-fantasy, et que dans un monde comme celui-ci, on accepte de voir ça. Un peu comme les films de Ray Harryhausen. Les créatures n’ont pas besoin de paraître réelles pour fonctionner. Mais dans Splice, on part du postula que Dren pourrait vraiment exister. J’ai toujours dit à l’équipe que nous ne faisions pas un film de science-fiction. L’histoire se déroule de nos jours, ou tout comme, et quand vous voyez les laboratoires du film, ils ne sont pas impressionnants. J’ai bien veillé à ne pas construire un labo de génétique hollywoodien, mais plutôt un lieu bien ancré dans la réalité. J’ai passé du temps dans ces endroits pendant que je faisais des recherches pour le film, et ils ressemblent peu ou prou à une classe de sciences d’un lycée. C’est un peu « cracra », et le matériel se résume à des éprouvettes, des réchauds, des frigos. Il y a finalement peu d’équipements high-tech. J’ai donc voulu être fidèle à ça, pour que les spectateurs ressentent bien qu’on est dans notre univers, et que la créature que l’on va voir est bien réelle. Quand nous avons casté Dren nous savions donc que ce serait une étape cruciale."
La nouveauté qu'apporte Splice au film de genre se situe dans la relation de proximité qui est créée entre la créature et ses créateurs, ce qui permet à Vincenzo Natali de faire un film dérangeant qui porte davantage sur l'horreur découlant du dépassement des frontières de l'éthique et de la morale: " Splice, à mon sens, va là où aucun film d’horreur n’a jamais été. Le triangle amoureux est un élément permanent du film. Réellement. Les personnages ont des relations très… proches avec la créature. Je trouve ça dangereux. C’est d’ailleurs, à mon avis, l’une des raisons qui ont fait que le film a mis 10 ans à se monter. Aucun studio ne voudrait financer un film comme celui-ci, où l’idée d’une relation sexuelle entre un humain et une créature est clairement évoquée. Je pense que c’est une part non négligeable, et éternelle, de notre psyché. C’est ce qui me fascine dans les champs qu’ouvrent aujourd’hui la technologie. Les concepts de Centaure, de Sirène, existent depuis des siècles. Et aujourd’hui, nous sommes dans la position de pouvoir donner le jour à ces créatures. Après tout, en Grande-Bretagne, ils ont déjà créé des hybrides mi-humains mi-animaux, même s’ils n’ont pas dépassé le stade embryonnaire. J’étais très intrigué par une question : qu’arriverait-il si la technologie arrivait à faire sauter dans nos esprits les verrous de portes fermées depuis des siècles ? Je crois que derrière ces portes se cache l’idée d’un désir mutuel d’accouplement avec quelque chose de non-humain. Peut-être est-ce lié à l’évolution, à notre souhait d’évoluer ? C’est un archétype du désir dans le Fantastique. Et c’était réellement excitant pour moi de traiter un sujet aussi ancien et ancré dans nos subconscients, afin de lui donner une réalité scientifique", confie-t-il.
Pour Vincenzo Natali, le triangle amoureux est le moteur du film, sa raison d’être: "La complexité de la relation entre les créateurs et leur créature fait naviguer Splice dans des eaux à la fois troubles et excitantes. En apparence, la relation entre Clive et Elsa d’un côté, et Dren de l’autre, est simple : elle est purement scientifique. Ils veulent élever la technologie à un niveau jamais atteint et voient en Dren un moyen d’inventer de nouveaux traitements. Mais les motivations profondes de la curiosité scientifique sont complexes, et très personnelles. Dans le cas d’Elsa, cela vient d’une enfance malheureuse, et d’une relation difficile avec une mère abusive. Ce qui l’a d’ailleurs empêchée d’avoir des enfants avec Clive. En créant Dren, Elsa découvre un autre moyen de satisfaire son instinct maternel. Elle se révèle capable de maîtriser une situation, dont elle aurait perdu le contrôle en temps normaux. Comme Clive le lui dit à un moment dans le film, "Tu n’as jamais voulu un enfant, mais une expérience, ce n’est pas la même chose.". Clive, de son côté, ne voit pas Dren comme sa fille. Mais en grandissant, elle développe une beauté exotique, et surtout une sexualité latente, perverse, qui va aboutir à une situation tenant autant du triangle amoureux que du drame familial. C’est incestueux, oedipien, terrible en tous points… Et il en ressort que les humains peuvent avoir des comportements plus monstrueux que les monstres eux-mêmes. C’est ce qui distingue Splice des autres films de monstres."
Le réalisateur, fan des films de genre conçoit néanmoins que les ressorts cinématographiques varient en fonction des créatures mises en scène. Il lève ainsi le voile sur les ingrédients utilisés dans Splice: " Il y a plusieurs types de films de monstres. L’un de mes préférés est Alien de Ridley Scott, qui est quasi parfait. Mais Alien, le monstre n’est pas en nous, il est tapi dans l’ombre et nous menace. Dans mon film, le monstre est l’être humain. C’est presque une pièce dramatique, le film comportant très peu de personnages – il n’y a que cinq rôles « dialogués ». D’un côté, c’est effectivement un film de créatures. D’autant qu’il y en a plus à l’écran dans Splice que dans bon nombre de films du genre. Mais c’est aussi, et à part égale, un triangle amoureux. Et plus le film avance, plus l’émotion grandit… L’une des raisons pour lesquelles je voulais tourner ce scénario immédiatement après Cube, c’est que Cube racontait l’histoire d’un groupe de gens innocents face à un dilemme horrible, au point de perdre leur innocence. Celle de Splice vient de ses personnages, de leurs besoins. Ils sont directement responsables de leurs destins. Sous de nombreux aspects, je trouvais que c’était intéressant à explorer. Et je pense que ce qui fait la spécificité du film, c’est que le monstre est né du désir d’Elsa, la scientifique, d’avoir un enfant, ce dont elle est psychologiquement incapable. Au final, c’est aussi intéressant de voir quelqu’un créer un monstre, que de voir ce même monstre traquer un personnage."
Vincenzo Natali dit avoir été très jeune influencé par les films de monstres. Cependant, il explique avoir voulu apporter une dimension plus moderne au genre: " J’ai grandi avec le Frankenstein de James Whale. Et jamais je n’en ferai un remake. Ces films appartiennent à leur époque, et ont une sensibilité légèrement gothique, ce qui n’est pas mon rayon. Mais j’étais intéressé par l’idée de prendre quelques codes de ces films, et de les moderniser. En fait, ce qui m’a inspiré, ce n’est pas un film, c’est une souris. Une souris qui, suite à une expérience génétique, s’est vue transplanter une oreille humaine sur le dos. Ce n’était évidemment pas une vraie oreille, mais une structure synthétique en polymère. La souris a ensuite développé des tissus, qui auraient pu permettre une greffe sur un humain. Les scientifiques ont fait cette expérience pour prouver que si vous perdez une oreille, vous pouvez en faire pousser une sur une souris et vous la faire transplanter. C’était une image choquante. Comme une peinture de Salvador Dalí. J’ai instantanément senti que je tenais là une idée pour un film. Je n’avais donc pas en tête Frankenstein, Mary Shelley, et le mythe prométhéen, même si finalement, ça a transcendé ces thèmes. C’est aussi la preuve que je suis un scénariste extrêmement lent, les scientifiques ayant pris moins de temps pour séquencer le génome humain que moi pour finir mon scénario ! (rires) C’est également la démonstration des progrès exponentiels et fulgurants de la science."
Le réalisateur semble avoir depuis toujours été fasciné par la capacité de chacun à devenir un monstre. On retrouve ce thème récurrent dans la plupart de ses films comme son court-métrage Elevated, mais aussi dans Cube (1997), et dans le dernier en date, Splice: "Je pense être fasciné par le monstre qui dort en chacun de nous. Dans un sens, ils sont plus terrifiants que ceux que vous pouvez imaginer dans un film d’horreur. C’est d’ailleurs l’idée centrale du film : les gens qui imaginent la créature sont finalement plus effrayants que la créature elle-même. Et ils le sont encore plus quand ils ont l’air sympa. C’est pour ça que j’ai choisi Adrien Brody et Sarah Polley. Quoiqu’ils fassent, ils inspirent la sympathie."
Le réalisateur Vincenzo Natali revient sur la genèse du film et les difficultés rencontrées avant de pouvoir enfin réaliser son long-métrage: "Cela fait plus de 10 ans que je travaille de manière sérieuse sur ce film. J’ai failli le faire en 2000, juste après Cube. J’ai bossé intensément pendant un an sur le design, le storyboard, et j’étais prêt à tourner. Mais au dernier moment, le producteur canadien a jugé le film trop cher pour lui. J’ai bien cru qu’il ne verrait jamais le jour, car il est très ambitieux, et très peu de gens sont capables de permettre à un film comme celui-ci de se faire. Je pense que tous les films sont faits pour de mauvaises raisons (...) Et dans le cas de Splice, je pense que c’est grâce à la grève des scénaristes. Elle était imminente. Nos financiers n’avaient que deux options. Soit faire le film immédiatement, ou alors, ne probablement jamais le tourner. S’ils n’avaient pas été forcés par les circonstances, ils auraient attendu, attendu, et le film n’aurait jamais vu le jour (...) Dans un certain sens, Splice était prédestiné à être filmé aujourd’hui. S’il avait été tourné 10 ans plus tôt, la technologie n’aurait pas été au point, et moi-même, en tant que réalisateur, je n’aurais sûrement pas été en mesure d’exploiter convenablement le sujet. Surtout, il y a 10 ans, la science n’était pas prête. Les concepts développés dans le scénario étaient dignes de la science-fiction. Mais la génétique a fait de tels progrès, qu’elle a rattrapé ma fiction, et que les sujets abordés sont plus que jamais d’actualité. Je pense que c’est l’accumulation de ces trois facteurs, plus quelques coïncidences heureuses, qui ont placé ce projet dans les bonnes mains, lesquelles ont rendu Splice possible."
Le cinéaste affirme avoir écrit l'histoire de Splice en s'inspirant d'une photo qu'il avait vue il y a une dizaine d'année. Ce cliché, très connu aujourd'hui, montrait une souris avec une oreille humaine greffée sur le dos. Une photo qui lui a donné envie de faire un film sur les manipulations génétiques. Un thème de plus en plus présent dans notre société actuelle.
Vincenzo Natali, en parallèle à sa carrière de réalisateur, a également travaillé en tant que storyborder pour des séries TV et pour quelques films dont Ginger Snaps et Johnny Mnemonic.
Splice marque la quatrième collaboration entre le réalisateur et l'acteur David Hewlett.