Lorsque la séance commença, je me demandai quel masochisme m'avait encore poussé à aller voir un film qui me déplairait forcément : le portrait d'un homme pour lequel je n'avais que peu d'estime, paradant dans un documentaire qui s'annonçait à n'en pas douter trop complaisant. Mais à l'encontre de ces présupposés, Barbet Schroeder a eu l'habileté de recourir à une démarche subtile : ni pamphlet, ni panégyrique, ce portrait de Vergès conserve une distance prudente avec son objet, préservant au personnage toute l'ambiguïté dont il se croit entouré (l'admirateur de Vergès repartira sans doute convaincu du génie de son idole), tout en mettant en évidence le simplisme de ses idées et des amitiés fort révélatrices.
Au delà du portrait prudent (précaution contre d'éventuels procès ?) d'un manipulateur cynique qui aime à se voir en mystérieux vengeur des opprimés, le film dresse à coups de témoignages croisés la passionnante arborescence de la mouvance tiers-mondiste radicale, qui va, commençant dans les années 50, des révolutionnaires idéalistes algériens, palestiniens et naïfs petits marxistes européens, jusqu'aux terroristes mercenaires des années 80, expliquant aujourd'hui la convergence, dans la nébuleuse islamo-gauchisme, des fous de Marx et des fous de Dieu, cimentés par une idéologie islamo-nazie toujours bien vivace.
Le plus étonnant, dans cette accumulation d'interviews, est sans doute l'impression qui se dégage des propos de ces témoins, qui tous adhérèrent aux théories de l'action directe et qui ne semblent pas, après 20 ou 30 ans et même en s'étant rendu compte des manipulations dont ils étaient l'objet (voir les sous-entendus désabusés d'Anis Naccache...), remettre en cause l'idéologie délétère qui les guidait.
Jacques Vergès, au milieu de cette galerie de portraits de révolutionnaires avachis, serait un peu, lui qui s'imagine sans doute tel un personnage shakespearien, le mauvais génie gambadant sur les champs ignobles des guerres contemporaines.