Mon premier criterion ! (pour ceux qui ne le savent pas, criterion est une prestigieuse collection dont le but est de proposer de vieux films d'une valeur inestimable avec des qualités techniques optimales) Bon ok, tout le film était en anglais et je ne m'y entends pas assez pour tout comprendre sans sous titres. Mais peu importe, le film retranscrit l'ambiance du chef d’œuvre de Wells à merveille, et notre perception instinctive (et animale, oserais-je dire pour l'occasion!) saisit immédiatement le sens des péripéties, qu'on soit bilingue ou non. Et pour cause, les acteurs ont choisis à l'unanimité d'adopter un jeu des plus expressifs, et la palme revient de loin à cet immense acteur qu'est Charles Laughton, qui crée ici un personnage terrible et fascinant, à ranger aux côtés des grands méchants du 7e art aux côtés d'Hannibal Lecter (non je ne plaisante pas!). J'avais attendu avec excitation l'apparition du grand Lugosi à l'écran, mais il ne fait malheureusement que passer, en grande pompe (funèbre) certes, mais j'aurais aimé le voir davantage. Quant à Richard Arlen, grande découverte pour moi, cet acteur est juste formidable, il se démarque légèrement des héros typiques de Wells en affichant un caractère plus marqué, un regard fixe plutôt spécial, moins de retenue et se montrant beaucoup plus apte à survivre grâce à son état d'esprit terre à terre sans pour autant être empêtré de naïveté (grosse différence avec le protagoniste de la Machine à Explorer le temps). Les seconds rôles sont tout aussi convaincant, tandis que les hommes bêtes trempent dans le théâtral pur (What is the laaaaw ?) ou sont recalés le plus souvent à une dimension plus discrète qui apparaît alors d'autant plus menaçante, choix très judicieux de la part de Kenton qui réussit à ancrer la présence des expériences vivantes dans notre tête pendant tout le film alors que la majeure partie de la durée du film ne leur est pas consacrée. Je signale au passage que la performance des effets spéciaux est remarquable, sans âge ; on oublie très facilement que tout ceci date de 1932 en regardant le film. On pourra toujours arguer que le cœur du travail se situe dans les maquillages et que les trucages sont quasi inexistants, mais ces derniers ne paraissent en aucun cas caduque, contrairement d'ailleurs, à ceux des Morlocks de La Machine à explorer le temps, magnifiques pour le cinéphiles mais risibles pour le grand public. L'adaptation du roman est très libre, cependant, on ressent les mêmes sentiments en voyant ces images de jungle féroce, calquées sur un style expressionniste où des ombres dantesques côtoient la lumière blanche presque brillante, je tiens d'ailleurs à vanter la précision de cette édition criterion tout simplement stupéfiante. L'île, qui se voit reconstituée à l'aide de décors grandeur nature (je n'ai pas repéré une seule peinture), du port d’amarrage au vaste manoir du docteur Moreau, nous fixe un cadre presque étouffant, donnant l'idée d'un huis clos dangereux. Les dialogues sont omniprésents, et filmés en mouvement, généralement, pour renforcer cette angoisse. La musique ne se déclenche que pour le générique de début – très joli – et pour le générique de fin, ce qui se révèle parfois désorientant, mais plutôt satisfaisant au final. La hiérarchie qui régit l'île est longuement décrite, et la réflexion sur la science expérimentale n'arrive que tard dans la narration, mais prend rapidement une ampleur impressionnante. Tout d'abord les réactions émouvantes de la Panther Woman incarné de manière très touchante par Kathleen Burke, commencent à titiller Edward Parker, puis changent brutalement sa vision des choses. Ce qui est paradoxal, car le héros se range du côté des opprimés, à la base des animaux, parce qu'ils manifestent une allure et un comportement humain. Ceci est en fait le pivot de la pensée retranscrite de Wells, qui lui permet d'amener avec d'autant plus de vigueur la vraie substance de sa vision : le réalisateur va si loin dans le sort qu'il réserve à Moreau qu'on en reste sidéré, le concept e ce qui survient au final ayant du mal à rentrer tellement on est saisi à la gorge par sa crudité. Et non pas cruauté, comme on serait tenté de le dire, car le message de Wells est une prise de conscience extrêmement difficile à assimiler, qui ne pouvait se faire comprendre que par un choc. Un grand film, tiré d'un des bouquins qui m'ont le plus marqué de mon enfance.