La soledad est un film sur la vie, sur notre vie, je dirais même un film dans la vie. Il reste jusqu'au bout près des choses, près du quotidien, ce quotidien étouffant et pourtant inaltérable que nous connaissons tous. Chaque plan est une merveille, chaque regard posé sur un personnage émeut au plus au point, comme si le banal contenait en lui-même le sublime. Deux heures de plans fixes, avec un écran divisé en deux, métaphore évidente de la séparation des êtres, de l'incommunicabilité, et de l'épreuve du deuil. Et pas une minute d'ennui, grâce à des comédiens fabuleux, que l'on regarde, nous spectacteurs crédules, gesticuler, vivre, repasser leurs vêtements, préparer à manger, et parler, avec un naturel Ce miroir de nous-mêmes a quelque chose de troublant mais d'unique au cinéma. Jamais un silence n'a autant parlé au cinéma, jamais un regard, une crispation du visage n'a autant exprimé que dans Soledad. Et cette monotonie, ce dérisoire, finalement exprime l'essentiel, à savoir que la soledad del hombre no le impide que tome parte en la alegria del otro o en el dolor comun de la vida. Pourtant, lorsque le quotidien dit non, lorsque l'horreur survient dans la marche inexorable du monde, quelque chose s'affirme, nous crie l'éphémere de notre condition. Ainsi de la scene bouleversante du bus, ou celle de l'agonie de la vieille dame. La vie est là même quand on la veut pas, on la meuble avec du rien, et ce rien nous rattrape, malgré nous et exprime plus que nous. La phrase qui revient sans cesse dans la bouche des personnages est "no pasa nada", "cela ne fait rien" alors que justement tout est dans ce rien, dans ces mots incapables de dire, dans ces visages silencieux qui souffrent et qui aiment. Ce chef d'oeuvre espagnol est à voir absolument tant il vibre de sincérité et d'émotion retenue, tant il bouleverse par son esthétisme épuré. Il s'agit, on peut l'affirmer, d'un des meilleurs films de cette année.