Il y a des films qui ont vocation de choquer délibérément les esprits, et d’autres qui y parviennent juste parce qu’ils proposent une alternative à nos opinions.
"Martyrs" réussi le joli tour de passe-passe de faire partie de la seconde catégorie tout en faisant croire qu’il fait partie de la première. Le nouveau film de Pascal Laugier ("Saint-Ange", premier essai esthétiquement agréable mais trop ennuyeux pour véritablement captiver le spectateur) nous invite à suivre Lucie, jeune fille traumatisée par son passé : à 10 ans, elle disparaît durant plusieurs mois et on la retrouve errant sur la route, le corps ayant subi moultes maltraitances. Ne disant plus un mot, elle est placée dans un hôpital où elle fait la connaissance d’Anna avec laquelle elle se lie d’amitié. 15 ans plus tard, Lucie semble avoir retrouvé ceux qui l’ont agressée et décide de leur faire payer.
Commençant comme une sorte de mélange entre un rape & revenge et un home invasion classique, "Martyrs" nous dévoile une première partie assez bourrin qui n’hésite pas à faire preuve d’une certaine cruauté (non contente de flinguer ses bourreaux, Lucie n’hésite pas à faire la peau à leurs enfants) mais aussi d’une première dualité (Lucie est persuadé d’être au bon endroit et Anna commence à douter de la santé mentale de son amie). Mais après ce premier acte trompe-l’œil, nous assistons à un bouleversement scénaristique aussi original qu’inattendu (Merde, Lucie avait raison !) et Anna devient à son tour victime des agresseurs inconnus, subissant elles aussi des sévices assez extrêmes (Amnesty International apprécierait !!). Sévices dont les images d’une grande intensité baroque nous prennent à la gorge : on ressent physiquement et viscéralement la douleur de l’héroïne. Il faut avouer que les scènes sont très dures et éprouvantes pour les âmes sensibles et nous avons l’impression d’assister à un nouveau torture porn hardcore. Mais c’est sans compter sur la subtilité du scénario de Laugier et d’un dernier acte surprenant : on apprend ainsi que tout ceci est perpétué par des gens bien sous tous aspects et qu’ils n’aspirent qu’à savoir ce qu’il y a au-delà de la mort, d’où l’utilisation de martyrs pour y parvenir. Et c’est à ce moment que l’on comprend enfin qu’il ne s’agit pas ici de violence gratuite, au contraire, elle est nécessaire car logique : un martyr est par définition une personne qui n’hésite pas à mourir pour prouver sa foi religieuse au lieu d’abjurer. Dans la douleur et la mort, il se rapproche de Dieu…en fabriquant des martyrs en espérant qu’ils survivront à leur supplice, il est donc normal de croire qu’ils pourront témoigner de ce qu’il y a dans « l’autre monde » (Y-a-t-il une vie après la mort ? Le Paradis existe-t-il ? Dieu existe-t-il ?). Processus absurde imaginé par de vieux fous totalement illuminés ? On pourrait le croire au vu de la gravité et de la violence du calvaire infligé. D’autant plus que l’on est en droit de douter de la justification de l’expérience lorsqu’on se prend la fin du film et l’ultime geste de « Mademoiselle » en pleine face !!
Tout en étant un pur film de genre en matière de terreur, "Martyrs" sort du lot en nous proposant en plus une expérience émotionnelle, sensorielle et spirituelle intense : on en ressort impressionné, désorienté car il réussit à malmener nos idées reçues, nous poussant à les remettre en cause par l’intermédiaire de la réflexion. Comme toute tentative d’innovation extrême, le nouveau film de Pascal Laugier ne pourra que diviser le public, tout comme le sont ses deux héroïnes face à cette épreuve (au passage, les prestations de Mylène Jampanoï et Morjana Alaoui sont viscéralement formidables) : l’une choisit la rébellion, l’autre l’acceptation. Et vous, avez-vous choisi ?