Après avoir lancé le téléthéâtre « Douze Hommes en colère », qui sera plus tard porté sur grand écran, ainsi que « Le Seigneur de la Guerre » dans les années à venir, Franklin J. Schaffner propose une adaptation du roman visionnaire de Pierre Boulle. Le contexte des grandes guerres, comme pour tout autre argument social, induit l’étude intuitive de l’humanité et sa complexité. On abord ainsi le thème de l’altérité en remaniant avec douceur ce que représente cette humanité, que ce soit sous ses traits physiques ou moraux. S’éloignant avec prudence du roman et de sa vraisemblance dans la mise en scène choisie, ce premier passage sur grand écran lance bien des débats et porte la réflexion sur des pistes que même l’auteur respecte.
Plongés dans une science-fiction pure et dure, mêlant le voyage dans l’espace et d’autres dimensions possibles, nous sommes face à une lecture profonde sur le genre humain. Le groupe d’astronaute échoué sur une planète inconnue fait face à un premier contact déroutant sur les autochtones. Les singes intelligents occupent une place prédominante dans la civilisation locale et les humains sont des sous-espèces à titre « d’animaux » sauvages. Bien entendu, diverses races la composent, comme les chimpanzés, orangs-outangs et gorilles. On y installe alors un système notamment lié à leurs divergences de compétences à la fois physiques et mentales. Il est également possible d’extrapoler cette observation à l’opinion que chaque individu se fait, signe d’une intelligence, marquée par une intense réflexion. Tout l’intrigue nous occupe à cette gymnastique philosophique, suggérant les bien-fondés de tout argument et exemple lié à l’étude identitaire de l’Homme.
Par ailleurs, du fait de leur nature, jugée faible et primitive, sélectivement parlant, les humains occupent un rang qui dénonce avant tout la maltraitance des animaux. Sur le second plan, nous sommes face à une étude comparative entre eux et les singes, espèce que l’on identifie proche de nos semblables sur bien des aspects. Le souci étant de savoir ce qui fait d’un individu un humain, et en quoi le primitif est n’est pas toujours condamné sous cette forme. George Taylor (Charlton Heston), l’un des naufragés, illustre le sommet de l’évolution induite, prouvant que l’Homme « est » une espèce intelligente. C’est donc par le biais de cette rencontre extraordinaire que l’on aborde le sentiment de rejet, appuyé par une ségrégation qui développe autant de sens dans l’interprétation, que de réponse dans sa rupture avec un futur proche. La lutte est permanente, laissant les discours des singes bipèdes proposer une narration éducative et universelle avant de complexifier l’affaire.
La partition de Jerry Goldsmith joue également un rôle primordial dans l’approche de cette escapade. L’inconnu résonne dans chaque note, ainsi qu’une pointe d’ambiguïté semant le doute et le danger à tout instant. Ce qui nous intéresse dans ce récit, c’est de connaitre les vestiges qui ont fondés une telle société de présumés animaux intelligents. Comme pour le mal et le bien, tout dépend du point de vue. On se heurte ainsi à chaque camp qui défend vainement sa motivation, bien que l’on éprouve une empathie, logiquement justifiée, pour Taylor. Il parvient d’ailleurs à se montrer malin et subtile en utilisant la communication pour se démarquer. La gestuelle peut alors plus d’impact que la parole, mais dans une situation aussi critique, les deux compétences sont nécessaires afin de se défendre convenablement. Les scientifiques Cornelius (Roddy McDowall) et le Dr. Zira (Kim Hunter) soutienne Taylor, par curiosité et par doute. Tout le procès qui tourne autour de l’humain parlant est régressif dans le propos, mais questionne énormément sur les valeurs qui constitue une âme honnête et ouverte. Nova (Linda Harrison (I)) sert essentiellement comme point d’encrage, où l’on se réfère à son caractère primitif. L’aspect féminin importe peu dans le contexte, car l’on tend à généraliser l’ensemble de l’étude à l’Homme. On garde sans cesse à l’esprit la place de l’humain dans une société totalitaire où la sécurité des semblables compte plus que tout. On en vient aisément à négliger les répercussions derrière, alors que l’on part d’une bonne intention.
Afin de rendre la narration plus intéressante, on installe alors le Dr Zaius (Maurice Evans), ministre des Sciences et gardien de la Foi. Il défend aveuglement son espèces, qui revendique son intelligence absolue, malgré l’arrivée de Taylor et de ses connaissances bluffant. Sur ce point, nous sommes capables de trouver tout le sens des idées de Platon, où l’allégorie de la Caverne devient l’objet d’étude principale, le temps d’un débat qui alarme et qui instruit. C’est la « Zone interdite » qui définit la frontière de cette caverne et la vérité, où le monde intelligible apportera les réponses voulues, sera fatale pour chacun des protagonistes. L’approche reste métaphysique et ontologique afin que l’on puisse garder le suspense jusqu’à son comble. Le fait de savoir toute la vérité sur le passé de l’Homme provoque un recul permanent sur les péripéties qui s’enchainent, injustement contre les hommes.
Il va sans dire que « La Planète des Singes » rend hommage à Boulle, mais projette davantage sur le fond de la réalisation, jusqu’à remettre en cause sa vision. Et autant conclure sur le symbolisme, car celui des « Trois Singes de la Sagesse » est à l’œuvre ici. L’icône qui en ressort se traduit essentiellement par « Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal ». Rien ne peut être aussi juste et complet en une citation. La justice que revendique Taylor est écartée de la conscience de Zaius et des siens. Ce duel moral est une leçon de cinéma, marqué par une mise en scène très comparative. Entre la violence et l’intolérance, il existe des paliers dont on peut s’affranchir afin de justifier une unité que l’on recherche avec tant d’effort, sachant que camper sur des modèles conservatoires restera privilégier quel que soit d’époque, la situation ou les obstacles !