Véritable road-movie documentaire, Kings of the world est née d'une série de questionnements que se posaient conjointement trois auteurs-réalisateurs. Issus de la même génération, Valérie Mitteaux, Anna Pitoun et Rémi Rozié ont auparavant réalisé tous trois des documentaires et des reportages. "Depuis plusieurs années, nous nous interrogeons sur la place des Etats-Unis dans le monde. Sur leur hégémonie économique et culturelle. Non comme des Français aigris d´avoir perdu une place symbolique, nous sommes trop jeunes pour cela, mais comme des citoyens trentenaires, désireux de comprendre l´organisation politique du monde qui nous entoure. La critique à l´encontre des Américains, nous avons baigné dedans. Nous l´avons même alimentée, comme beaucoup d´Européens. Le 11 septembre, la guerre en Irak, la prise de pouvoir de Bush ont fait partie de nos sujets de réflexion et de débat."
Le projet Kings of the World part de l'envie partagée par Valérie Mitteaux, Anna Pitoun et Rémi Rozié de vérifier l'une des pensées du sociologue Jean Baudrillard : "La matérialité des Etats-Unis, c´est leur cinématographie". "L´idée est de travailler sur les figures mythiques américaines (le cow-boy, la serveuse de casino, les bikers, les mormons...) et sur les décors stéréotypés par le cinéma (la laverie automatique, le ranch, le désert, Hollywood boulevard...). Puis de confronter ces clichés de l´Amérique au son réel qui s´y rapporte : les voix des gens que l´on rencontre."
Afin d'éclairer leur sujet et de ne surtout pas le trahir, les réalisateurs décident que la meilleure des solutions est de parcourir les routes américaines. Ils louent alors une voiture à Los Angeles et, durant cinq semaines, avancent au gré de leurs rencontres. "C´est en route et dans le mouvement que nous décidons d´interroger le modèle américain, des grands centres urbains jusqu´au désert."
Valérie Mitteaux, Anna Pitoun et Rémi Rozié ont choisi de situer leur documentaire à l'ouest des Etats-Unis, qui leur semblait "l'endroit le plus pertinent pour interroger le rêve américain." Du 9 octobre au 14 novembre 2004, ils ont donc traversé la Californie (Los Angeles, San Francisco), le Nevada (Reno, Lovelock, Winnemucca, Cedarville, Las Vegas), l´Utah (Salt Lake City) et l´Arizona (Ehrenberg).
Durant leur voyage, les trois réalisateurs ont tenté de confronter leur propre pensée à celle de leurs interlocuteurs. Ils ne tenaient absolument pas à créer une frontière mais à instaurer un véritable échange avec leurs témoins. "L´idée est de donner à nos interlocuteurs une place prépondérante dans la réalisation du film. Il ne s´agit pas de construire des portraits d´Américains vus par des Européens, mais de tenter un véritable dialogue qui mette autant en jeu leur capacité à se livrer et à réfléchir au sens du monde et de la politique actuelle, que la nôtre. Pour cela, nous partons avec deux caméras vidéo dont l´une est mise à leur disposition." Au total, 173 personnes seront interrogées, et une cinquantaine seront conservées lors du montage.
Afin de porter un regard éclectique et aussi de renforcer la possibilité d'un lien avec leurs interlocuteurs, les réalisateurs ont décidé de partir à trois. "Trois réalisateurs, trois personnalités et une passion commune pour la politique. Chacun d´entre nous transporte ses préjugés et ses espoirs pour amorcer le dialogue. Réalisateurs et cadreurs à la fois, les caméras passent de main en main et les dialogues se nouent au gré des sensibilités ou des centres d´intérêt de chacun."
Animés par la pensée des sociologues qui se sont penchés sur les Etats-Unis, les trois réalisateurs avaient placé leur documentaire sous le signe de la nation créatrice de mythes. Toutefois, ils ne s'attendaient pas à voir les deux piliers sur lesquels Kings of the world s'appuient entrer si violemment en collision... Le 9 octobre 2004, jour de leur arrivée aux Etats-Unis, les trois comparses apprennent en effet la mort du philosophe Jacques Derrida et celle de Christopher Reeve, l'incarnation de Superman. L'annonce de ces deux décès les invitent alors à encore plus de questionnements : "Nous venons filmer la première puissance mondiale et l´un de ses héros mythiques s´éteint. L´un de ses fins observateurs également. Hasard ou signe du destin ? Qu´arrive-t-il aux rois du monde ?"
Anna Pitoun et Valérie Mitteaux ont déjà travaillé ensemble sur plusieurs documentaires, dont Caravane 55. En 2004, ce film a même reçu le Prix Spécial du Festival International du Film des Droits de l'Homme à Paris et le Prix du public au Festival Les Ecrans du réel du Mans.