J’ai très souvent dit qu’un casting de grande classe ne faisait pas forcément un grand film. La preuve nous en est donnée encore ici. Le réalisateur Wayne Kramer nous propose une lecture de son propre scénario pour nous parler de l’immigration aux Etats-Unis. Pour ce faire, il s’est arrêté sur plusieurs destins. Peut-être trop. Durant environ une heure, on se demande où tout cela va nous mener. On s’attend à ce que tous ces hommes, toutes ces femmes, ces enfants, ces familles venus chercher un meilleur avenir finissent par se relier. Mais non, ce ne sont que des fenêtres ouvertes sur des gens précis, en offrant systématiquement deux points de vue : celui de l’immigrant, et celui du système. "Droit de passage" serait alors sans manichéisme, comme l’a annoncé le cinéaste ? Je n’en suis pas si sûr. Ayant été lui-même un immigrant, il parait difficile de rester neutre sur un sujet qui l’a concerné au plus près. Et en effet, il condamne (sciemment ou pas) un certain nombre de choses à travers son œuvre qu’on pourrait qualifier de personnelle : l’abus de pouvoir mêlé à de l’abus de faiblesse exercé par un homme qui fait la pluie et le beau temps auprès des gens venus chercher le rêve américain. Tout un panel de destins sont représentés, donnant ainsi la possibilité au spectateur de vivre de grandes émotions. Car ce dernier le sait, certaines situations deviennent magnifiques, alors que dans le même temps d’autres virent au drame. Au lieu de ça, les moments forts sont rares. Il y a bien le petit focus sur Mireya (Alice Braga) et de son jeune fils (Aramis knight, résolument touchant bien qu’il ne prononce pas un seul mot) qui est sujet à une certaine compassion et attendrissement. Mais le traitement reste superficiel et les émotions ne sont pas ce qu’elles devraient être. Et c’est ainsi pour toutes les situations évoquées. C’est la résultante d’un désir trop grand d’offrir un propos neutre. Prenez le temps de réfléchir au cas de Claire Sheperd (Alice Eve) et de Cole Frankel (Ray Liotta) : il y aurait de quoi choquer le public mais la superficialité est telle que la situation parait normale. Du coup, ça n’interpelle même pas. Finalement, la seule chose qui choque est le point de vue de Talisma, interprétée par Summer Bishil, la seule selon moi à tirer son épingle du jeu. Pourtant elle a hérité du rôle le plus difficile, tout du moins le plus osé. Ce que je vais dire risque d’en choquer plus d’un, et de là je risque de perdre quelques lecteurs en route, mais tant pis j’assume : son jeu est si convaincant que le spectateur est presque (et j’insiste sur le mot "presque") enclin à comprendre le raisonnement de son personnage, et même à lui accorder le bénéfice du doute si… si son regard ne se transformait pas du tout au tout pour se perdre dans une dureté aux portes de la haine qui vous refroidit tout net. Au final, "Droit de passage" ressemble plus à un catalogue de cas possibles et imaginables, comme n’importe quel documentaire aurait pu le faire. D’ailleurs ça a été déjà fait (et le sera encore en regard de l’actualité), excepté le cas où on voit Alice Eve dans son plus simple appareil. Certes elle est bien faite, mais ça n’enrichit en rien le propos. Nous accordons le fait que Wayne Kramer ait voulu montrer la vérité toute nue mais un peu de pudeur aurait fait du bien, à l’image de celle qui a été exprimée en ne montrant pas vraiment le corps de la victime en toute fin de film. Un film dispensable, donc…