Body of Lies se saisit de la géopolitique comme d’un vaste jeu de pouvoirs entre des puissances qui se prennent, chacune à leur manière, pour des envoyés de Dieu voire des Créateurs à part entière. En ce sens, il occupe une place de choix dans la filmographie de Ridley Scott, cinéaste fasciné par l’obsession de l’individu à dépasser sa condition pour chercher une transcendance qui n’est, en réalité, que le reflet fantasmé de son impuissance. Ici, deux réalités supérieures cohabitent : l’islam d’une part, les images satellites d’autre part, qui traduit peut-être la religion de l’Occident, à savoir la surveillance paranoïaque et la peur. Toutes les deux viennent du ciel et changent ceux qui les vénèrent aveuglement en des bonimenteurs soucieux de déguiser leur soif d’autorité ; images ou versets sacrés, on y lit ce que l’on veut bien y lire, on interprète. Le long métrage, comme l’indique son titre, articule le corps physique et mortel au mensonge qui l’habite et le pare, suivant une opposition entre pureté et corruption qui est filée du début à la fin. Les personnages, chez Ridley Scott, sont en fuite d’eux-mêmes, à l’instar d’Ed Hoffman que l’oreillette le reliant aux missions secrètes de ses agents coupe de ses responsabilités paternelles : il semble là mais est en vérité ailleurs, il feint l’écoute mais n’entend pas. Au contraire de l’agent Ferris qui, lui, tombe amoureux du Moyen Orient par l’intermédiaire d’une femme, Aisha, infirmière dévouée à aider les autres. Body of Lies offre donc une porte de sortie à la destruction créatrice de pouvoir, d’argent et de souffrances : non pas le sacrifice de soi, notion religieuse qui témoigne d’un rapport de soumission à des chimères que Scott ne cesse de dénoncer, mais l’altruisme et l’empathie, qualités dont même les réplicants de Blade Runner (1982) paraissent pouvoir disposer. Nul hasard si la caméra ne nous fait pas entrer dans les lieux de soin où exerce Aisha, sinon pour amorcer l’intrigue amoureuse : ils se situent à la marge des intérêts transcendants des hommes, puisqu’ils conservent la vie de façon désintéressée et généreuse. Nul hasard également si la retraite annoncée de Ferris conduise Hoffman à mettre fin à la transmission : « il est tout seul maintenant », déclare-t-il avant que n’advienne le générique. Seul et pourtant raccordé à l’humain dans sa simplicité et son honnêteté fondamentales. Un grand film.