Mensonges d’Etat
Un film de Ridley Scott
La tête d’affiche du nouveau film de Ridley Scott était prometteuse. Elle mettait deux stars en parallèle, au beau milieu d’un imbroglio comme seul le Moyen-Orient peut en offrir aujourd’hui.
D’un côté, il y avait Leonardo DiCaprio, de l’autre, Russell Crowe. Tandis que le premier se glissait –avec la frénésie qui le caractérise- dans la peau d’un ancien journaliste passionné, reconverti dans le renseignement au Moyen-Orient sous l’autorité de la tentaculaire C.I.A., le second embrassait l’embonpoint marqué de son supérieur, grand manitou hyper stressé tirant les ficelles depuis son bureau sur le territoire américain, loin, si loin, du terrain et ses dangers. Le tandem était intéressant, et devait se nourrir de la riche collaboration passée entre Ridley Scott et Russel Crowe (les deux hommes avaient en effet déjà tourné ensemble à trois reprises, dans American Gangster et Une grande année en 2007, et dans Gladiator en 2000). Le film devait par ailleurs donner un aperçu de la complexité de la situation au Moyen-Orient, et des difficultés de mener une guerre a priori sans fin contre le terrorisme, dans laquelle les Etats-Unis sont disposés à jeter toutes leurs forces.
En ce qui concerne ces deux aspects, le film remplit sa part du contrat. Il lui manque toutefois quelque chose. Un petit je-ne-sais-quoi qui le ferait basculer dans une autre catégorie ; ce qui ne doit cependant pas nous empêcher de l’apprécier pour ce qu’il est : un film à grand spectacle réussi, mis en scène par un ténor de la profession, auteur de quelques monuments du Septième Art. Ridley Scott débute son film avec des scènes-choc. En Angleterre, dans la ville de Manchester, une maison servant d’abri à un groupe de terroristes explose quelques jours seulement après la tuerie du bus de Sheffield. Le Royaume-Uni a beau avoir traversé l’Histoire en survivant à de tels actes de violence, il n’empêche, le pays est sous le choc. Tout comme son allié, le grand frère américain, qui mettra son meilleur agent infiltré sur le coup. A peine quelques images, et on sait déjà que le metteur en scène ne fera pas preuve d’une pudeur inutile.
Comme il l’a déjà fait par le passé, Ridley Scott alternera scènes spectaculaires, haletantes, avec moments plus calmes, plus près de l’individu, sans nécessairement relâcher la tension. C’est ainsi que sa virtuosité se manifeste. Dans ces moments-là, le réalisateur a choisi de s’appuyer sur le talent de ses deux stars, ainsi que sur un comédien encore peu connu du grand public, Mark Strong (Syriana, Babylon AD, Sunshine et Oliver Twist sont ses films récents les plus connus). Dans le rôle d’Hani Salaam, chef des Services de Renseignement de Jordanie, Mark Strong créé un personnage élégant, courtois, posé, à l’éloquence inquiétante. Inspirant à la fois la crainte et le respect, il est un partenaire de choix pour Leonardo DiCaprio et Russell Crowe.
La narration de Ridley Scott fait merveille. Les scènes-choc n’en font jamais trop, et se partagent la vedette avec la paranoïa propre au milieu du Renseignement. Chaque protagoniste joue plusieurs jeux, de sorte que personne ne sait réellement à qui se confier, encore moins à qui faire confiance. Entre les manipulations de cabinet, les mensonges partiels, temporaires et une situation géostratégique qui fluctue au jour le jour, difficile de discerner les alliés des ennemis, les amis des confrères. Au sein de ce méli-mélo pas vraiment aussi organisé que le souhaiteraient les gouvernements, un fossé semble perdurer entre les agents sur le terrain et ceux qui, loin des réalités du terrain, organisent de sombres tractations. Ces derniers, près à mentir à n’importe qui, sur n’importe quoi, tant que cela peut servir leurs intérêts jouent avec la vie de leurs hommes sans éprouver le moindre remord. Et comment pourraient-ils ? Persuadés qu’ils sont de contribuer à sauver le monde…
Au cœur de ce « jeu » bien cruel et dangereux, l’individu, civil ou militaire, est un pion dont la valeur est inégale. Selon ce qu’il sait ou ne sait pas, ce qu’il accepte de faire ou ne pas faire, il pourra être protégé ou, au contraire, sacrifié sans la moindre hésitation. Un monde implacable, que Ridley Scott est parvenu à illustrer avec sa technique éprouvée. Cet univers nécessite de maîtriser l’art délicat du mensonge. Certains y parviennent un certain temps, comme le héros du film, mais sur la durée le challenge est de plus en plus dur, jusqu’à devenir impossible