Le film qu'il faut voir absolument en ce moment, tant il surclasse tout ce qui passe sur nos écrans. Une construction magnifique renvoie ce qu'on a coutume, maintenant, d'appeler "film choral" à un exercice de patronage. Point ici de gros melting-pot final, les personnages glissent les uns contre les autres sans jamais se reconnaître. Destins croisés, à cheval entre la Turquie et l'Allemagne, quelque chose que nous autres français avons du mal à comprendre parce que nos relations avec les communautés qui vivent sur notre sol sont marquées par le poids du passé colonial.
Relations croisées entre générations aussi, relations inversées entre un comportement "bourgeois" et un comportement libre de freins: le jeune professeur d'université turc, si bourgeois, si petit bourgeois même, rejette ce père pochard et paillard qui ramène une prostituée au logis pour la traiter comme un animal domestique; l'étudiante allemande qui s'enflamme dans une passion saphique pour une passionaria turque impliquée dans des actions terroristes, ne comprend pas que sa mère, une ancienne baroudeuse, lui fasse la morale et lui dise maintenant "tes études d'abord"....
Cette mère c'est Hanna Schygula. Nous l'avons dans le coeur, silhouette acérée comme une lame sanglée dans un tailleur noir, vous souvenez vous? Nous la retrouvons dodue comme une chatte trop nourrie, et aïe, ça nous fait mal! Ca veut dire que le temps, inexorable, est passé... Mais son personnage est magnifique. Non seulement elle pardonne à la jeune turque qui a causé sans le vouloir la mort de sa fille, mais elle va la protéger comme une mère, cette mère disparue -et le spectateur, lui, sait qu'il s'agit de la prostituée tuée, sans le vouloir non plus, par le lubrique pappy. Si on ajoute que cela se passe, à Istanbul, dans l'appartement du professeur: la boucle des destins s'est refermée. Il y a quelque chose d'infiniment humain, généreux dans cette fin qui fait qu'on sort de la salle avec le coeur en miettes...