Sam Peckinpah a entamé sa carrière de manière foudroyante. D’abord adulé par la critique avec ses premiers essais westerniens (« New Mexico » et « Coups de feu dans la sierra »), une commande s’offre à lui : le film de guerre « Major Dundee ». Ce qui pouvait concourir à une réussite totale s’est avéré une catastrophe sans précédent. De cet échec (commercial et moral), il lui a fallu attendre cinq ans avant de mettre au point « La horde sauvage », son cinquième long-métrage, sorti sur les écrans français en octobre 1969.
Répondant coup pour coup à la mode du western spaghetti (la trilogie du dollar est sorti successivement entre 1965 et 1966, et Sergio Leone sert son « Il était une fois dans l’Ouest » l’été 1969), l’ombrageux Peckinpah fait face à Leone en un duel de mise en scène ; réalisation parfumant « La horde sauvage » d’une éternelle cure de violence.
Dénonçant la violence par la violence, le futur réalisateur de « Croix de fer » orchestre la fin d’un mythe, celui des hommes sans noms, les chasseurs de primes en quête d’aventures. En cela, la scène d’introduction est un véritable ballet dans lequel scorpions incendiés par les enfants et images de générique arrêtées sur fond gris (parodiant le spaghetti léonien) alimentent la vie miséricordieuse des hommes. Et plus particulièrement de tueurs se faisant passer pour l’armée qui, elle aussi, en prend pour son grade : décrépie, avare de pouvoir et d’argent. L’armée est ainsi la seule personne morale à pouvoir se pourfendre de ses erreurs car elle est en route pour le progrès. Révolution minime étant donné un final des plus dantesques. En poussant la violence jusqu’à son paroxysme (« je veux que le spectateur ressente de la manière la plus forte, la plus terrible possible, la violence cataclysmique, irresponsable qui peut s'emparer de l'homme »), Peckinpah ose s’insurger, dénoncer et parodier publiquement la guerre (en cette veille de 1970, les Etats-Unis ne sont toujours pas rentrés du Vietnam !!) en laissant la mitrailleuse gatling comme un personnage à part entière, cette arme ressuscitant la folie autodestructrice des hommes. La séquence finale, qui a nécessité douze jours de tournage parmi les quatre-vingt du film, non censurée, devenue culte avec le temps, écorchera à jamais la mémoire collective du cinéma. Et de se classer parmi les fusillades les plus mythiques jamais réalisées. Bravo Peckinpah !
Ainsi, sur un ton des plus macabres, Peckinpah livre un western crépusculaire qui amorce le genre en cette fin d’année 1969 pour mieux disposer de ses irrévérencieux atouts, à commencer par la musique qui fait dans la contre-mesure de Morricone. Toute en douceur, mélancolique, elle ne s’impose pas et c’est justement là-dessus que Sam l’anti-Leone parjure les codes du spaghetti. Un peu comme le fera George Roy Hill pour « Butch Cassidy et le Kid » en mêlant image d’archives et ambiance brumeuse. Tous mes chapeaux, Jerry Fielding !! Compositeur pour Peckinpah (« Les chiens de pailles », « Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia »), il travaillera également pour Winner (« Le flingueur », « Scorpio »). Toujours dans l’ambiance, le futur réalisateur du « Guet-apens » (avec le couple McQueen-Ali MacGraw) a embauché un maître dans la photographie qui propose une image des plus léchées. Les magnifiques paysages déchantent lorsque la poudre arrive. Débuts fracassants (ces fameux plans grisonnants) et final en apothéose (légère brume qui s’assombrit lorsqu’apparaît « The end »). Qui d’autre que Lucien Ballard (« L’ultime razzia », « Nevada Smith »…) pouvait officier en maître de cérémonie ?
Une autre raison de ne pas rater ce film ? Sa bande de gangsters, tous écorchés par leur vie de chasseur de primes, dépourvus de sentiment et se sentant à l’aube d’une nouvelle ère sans denier y participer. Les décomplexés mais néanmoins charismatiques gueules cassées embauchés par le scénariste de « L’invasion des profanateurs de sépultures » frappent fort et c’est à coups de revolvers que leurs interprétations est elle-aussi rentrée dans la culture du cinéma.
William Holden, Ernest Borgnine, Robert Ryan, Edmond O’Brien, Warren Oates, Ben Johnson, Jaime Sanchez, Emilio Fernandez, Bo Hopkins, Albert Dekker et L.Q. Jones (voir leur filmographie) cassent la baraque et c’est en montrant leurs gueules délavées par la poussière qu’ils offrent une prestation incandescente, digne d’être arrêtés par un shérif le plus déloyal possible.
Pour conclure, « La horde sauvage », chef d’œuvre mythique et baroque, est un véritable opéra de sueur et de sang orchestré par la maîtrise d’un Peckinpah au sommet.
Spectateurs, attention… Holden et Borgnine vous tiennent en joue !
Interdit aux moins de 12 ans.