Western sanglant de Sam Peckinpah, réalisé en 1969.
Au début du XXème siècle, une bande de malfrats menée par William Holden (avec son second couteau Ernest Borgnine), attaque au Texas le dépôt d’or des chemins de fer d’une petite ville, en plein milieu d’une procession de bigots anti-alcool. S’ensuit une fusillade de tous les diables où des hectolitres d’hémoglobine viennent repeindre la rue et les passants.
Du côté de la loi, un certain Thornton (formidable Robert Ryan), l’ancien complice de Holden, sorti de force de sa geôle de Yuma pour l’occasion, et que l’Etat entend bien utiliser pour traquer et tuer son ancien bras droit. C’est ça, ou retour à la case prison. Après ce carnage et terrible fiasco des 2 côtés (les braqueurs n’ont pas eu l’or, mais ont fui, et le nombre d’innocents tués est dantesque), commence un périple jusqu’au Mexique, où la mauvaise troupe s’en prend cette fois à un transport ferroviaire d’armes, dans le but de les refiler au sanguinaire Général mexicain Mapache, contre une somme rondelette.
Voilà pour le Pitch.
On s’attend à un déferlement de violence, mais entre la scène d’ouverture à la sauce ketchup et celle de fin, où l’homme moderne a découvert la mitrailleuse (formidable gain-de-temps), pas tant d’effusion de sang que ça (pour un western, s’entend…) En revanche, la violence est partout, sous-jacente dans tous les plans ou presque. Tout peut péter à tout moment…
Dans la même veine qu’un Aldrich avec son Vera Cruz, réalisé 15 ans plus tôt, Peckinpah nous plante une bande d’Américains plutôt frustres au milieu d’une horde de Mexicains mal dégrossis, eux aussi englués en ce début de XXème siècle dans une histoire nationale violente.
Et le spectateur de se demander à quel groupe de protagonistes s’adresse réellement le titre du film… La horde, c’est celle de Holden ? Celle de Ryan, avec qui on la confond parfois un quart de seconde (sciemment) à l’image ? Ou les Mexicains, à la limite de la caricature pour certains personnages? On peut se le demander, d’autant plus qu’on passe le film à changer d’avis sur les protagonistes et leurs actions.. Le plus bel exemple avec Borgnine qu’on déteste quand il abandonne son complice Angel (Jaime Sanchez) aux Mexicains, puis qui revient le chercher avec les autres mais par intérêt personnel… Bref, on oscille d’un sentiment à l’autre à bien des moments clés du film. Et les personnages aussi: tout au long du film, les protagonistes semblent aptes à changer de camp au grès de leur intérêt, ou de leur nature profonde, et la violence peut jaillir de n’importe qui, au sein-même d’un groupe. La petite bande de justiciers menée par Ryan se retourne même un moment contre l’armée qui les escorte, sans raison apparente. Et Ryan, qui ronge son frein pendant tout le film d’avoir été contraint d’être du côté des « bons », lui qui rêverait de faire des coups avec son vieux pote Holden..
Dès le plan d’ouverture, ce sont des gamins qui rigolent en martyrisant scorpions et fourmis: l’homme nait mauvais, quoiqu’on y fasse. Plus tard dans le film, un personnage se fera la réflexion que tout homme rêve de redevenir enfant. Dans le cas de ce film, ce n’est certainement pas pour retrouver son innocence, mais bien plutôt une immunité par rapport à la loi. Car les enfants font déjà preuve de cruauté, selon ce que nous sert Peckinpah, à l’image du bambin mexicain qui chevauche le corps d’Angel, torturé et trainé derrière un voiture, comme pour jouer « au grand ». C’est d’ailleurs un gamin qui tire la balle fatale sur Holden, qui mourra l’arme à la main, littéralement, comme il a vécu (bon, il n’était plus très frais de toutes façons…)
Les femmes aussi en prennent pour leur grade, elles sont soit bigotes (la procession de la ligue de vertu très féminine du début du film) soit des prostituées en puissance, prêtes à trahir et à tuer (c’est une femme qui tire la première balle sur Holden). Que dire de la Mexicaine, ancienne fiancée d'Angel, qui nous sort un rire de diablesse quand on découvre qu'elle a -elle aussi- changé de soupirant.
En fait, personne ne tire son épingle du jeu. Seuls les animaux ont grâce aux yeux de Peckinpah, victimes eux aussi de la violence aveugle des personnages. En plus des insectes déjà cités, on remarque la peur panique des chevaux, ce qu’on voit rarement dans les westerns, et un des frères Gorch tue un piaf après avoir malmené une Mexicaine, piaf qui sera largement vengé à la fin du film par une troupe de vautours bien contents du spectacle de désolation.
Après des décennies de western où les personnages se prenaient des balles sans une seule tâche de sang, on peut dire que Peckinpah a choisi un certain réalisme. La guerre ravage le Vietnam à la fin des années 60, et le réalisateur prend le parti de montrer la violence dans sa plus grande crudité. Le sang jaillit souvent, et le spectateur en reçoit plein la figure. Les USA se sont construits dans l’hyper-violence, et il est temps de montrer la vraie nature de l’homme, et d’enfin montrer dans les western que les hommes meurent salement, et dans d’atroces souffrances.
Le montage participe amplement à la violence, avec une foultitude de plans très courts dans les tueries, des montages alternés qui font monter la sauce, des séquences qui s’étirent au-delà du réalisme comme l’effondrement du pont, et des flashbacks là-aussi toujours au service de souvenirs violents.
Malgré la fulgurance de certains passage, on note malgré tout quelques petits ventres mous de-ci, de-là, notamment dans toutes les scènes de beuverie-coucheries, qui ont tendance à traîner en longueur. Le montage du film n’a pas eu l’air d’être une mince affaire, peut-être ces (tout) petits défauts viennent-ils de là.. En tous cas, et c’est dommage, le scénario souffre parfois de micros moments d’égarement, et le spectateur patauge parfois un peu.
Quand le film se termine, on est à peu près dans le même état que Thornton, assommé par tant de violence, et heureux d’en être sorti sain et sauf. Robert Ryan livre dans cette séquence un jeu magistral, plein d’humanité, ce qui fait un bien fou, je ne vous le cache pas.
La Horde sauvage se regarde comme un formidable spécimen de ce nouveau western, genre né à l’orée des années 70, où la frontière entre bien et mal, entre bons et mauvais s’efface en permanence. La fin du western classique, de John Wayne, et de cette bête vision manichéenne du gentil Américain confronté à des sauvages. Là, les sauvages, ce sont tous les hommes (et les femmes) du film, c’est l’époque elle-même.