Leonardo Di Caprio est devenu le nouveau De Niro de Martin Scorsese. Mais Di Caprio n'est pas De Niro. Faut dire que De Niro n'est plus du tout De Niro. Et que Scorcese n'a plus grand chose à voir avec Scorsese..... Donc, qui a réalisé Le loup de Wall Street? Sûrement pas, l'homme qui nous a donné Mean Streets, Taxi Driver, Raging Bull. Le dernier film scorsesien de Scorsese c'est A tombeau ouvert, qui date quand même de 1999.... et qui était aussi, par la même occasion, le dernier film de de profundis Nicolas Cage! Ou est passé l'homme torturé par le péché, l'impossibilité de la rédemption? Est ce vraiment celui qui livre régulièrement des films commerciaux, agréables certes, bien ficelés, mais sans âme?
Sur ce plan là, on peut dire que le dernier opus du maître renoue avec l'idée de péché, tant il ressemble au cauchemar d'un saint Antoine moderne sous fumette.
Jordan Belfort, donc, dont l'autobiographie représente le scénario du film, débute, tout naïf, à la banque Rotschild. Son dépucelage intellectuel par un trader fou magnifiquement interprété par un Matthew McConaughey en roue libre est un sommet du film. Crack financier, voilà notre débutant à la rue. Il découvre alors une minable officine de banlieue, spécialisée dans les valeurs hors cote: des actions inintéressantes émises par des inventeurs qui travaillent dans leur garage, et qu'on fourgue à d'autre fauchés qui n'y connaissent rien. Suffit de fourguer mille actions à 1$ à un crétin pour se faire 500$ de commission. Bientôt Jordan peut se mettre à son compte; il embauche ses amis d'enfance, des crétins d'anthologie, des glandeurs dignes du Parthénon; en guise de formation, il leur sert un baratin de commis voyageur, et bientôt, la société Belfort devient une des plus prospères du marché, avec des centaines de traders survoltés dans la salle de courtage. Il faut plumer ces abrutis de clients! crie t-il! Ouais! répond la foule en délire.
Evidemment, et c'est une des premières limites du film, on n'y croit pas une seconde. Même si le pauvre est idiot, ce qui est une des bases du système Belfort, même en le baratinant, en l'embobinant, en le tondant, cela ne peut expliquer une pareille réussite. De plus, le staff ne fonctionne qu'avec le cul et la drogue, de préférence couplés: se faire une ligne de coke dans la raie des fesses d'une pute, par exemple (risky: si la fille pète, la coke se disperse?). Pendant les premières heures de cet interminable film, le spectateur est confronté à des dizaines d'orgies, a vu des centaines de fessiers en pomme galopant au milieu des traders, des dizaines de touffes en ticket de métro sur des ponts de yacht, des dizaines de pipes et des kilos de talc (qui remplace, je suppose, la coke sur le plateau...) siphonnés. Jordan lui même fonctionne au Qualude, une sorte d'amphet, à la coke et au Valium pour calmer le jeu entre deux prises, et passe ses nuits en partouze. Son bras droit, le gros Donnie qui a le QI d'une huitre (Jonah Hill), kif kif. C'est bien la dépravation totale, vue par un moine.... mais ça ne fonctionne pas comme cela. Si ca fonctionnait comme cela, les escrocs et les délinquants financiers seraient beaucoup plus faciles à alpaguer...
Jordan épouse une minette, Naomie (Margot Robbie), une de ces blondes américaines au nez en trompette, ce qui fait une paire de fesses de plus au tableau. Il a accumulé une fortune extravagante. Mais un flic tenace commence à lui tourner autour (Kyle Chandler). La bande passe sans difficulté son flouze en Suisse, chez un banquier aussi francophone que malhonnête (Jean Dujardin). Dans cette dernière heure -la chute- on retrouve un peu du vrai Scorsese, tant cet homme là est plus celui de la perdition que de la réussite. Incapable de décrocher de la drogue et des médicaments, incapable de garder sa femme, Jordan va être peu à peu rattrapé par son passé, et après un an de désintoxication (peu réussie), après de multiples procès, après une condamnation à vingt ans de prison, il finira -salaud jusqu'au bout- pour obtenir une réduction de peine, par donner tous, mais alors tous ses collaborateurs et ceux qui ont bénéficié peu ou prou de sa réussite. On retrouve, enfin, l'œil du moraliste!
Scorsese nous dit que l'amour de l'argent, l'appât du gain, l'accumulation des richesses, c'est pas bien. C'est sûr. Vivre pour avoir toujours plus et surtout, en bâtissant cette fortune sur le dos des autres, c'est sûr que c'est très mal. Faut il l'associer automatiquement au stupre et à la fornication? Moins sûr. On nous raconte qu'à Wall Street, les traders bossent vingt heures par jour, tenant à coup de coke. Mais je suis certaine que derrière toutes ces réussites financières, tous ces empires bâtis sur la tromperie, l'abus de confiance et le vol, il y a aussi des têtes froides. Et ceux là, les Madoff et autres, sont sûrement plus intéressants que Jordan Belfort. C'est clair: ce film ne convainc pas. Son principal intérêt, c'est de donner à Di Caprio l'occasion d'être éblouissant, se sortant de lui même comme jamais. Des méchants, Dieu sait qu'il en a interprétés. Mais comme celui là....