Longtemps centré sur le microcosme culturel, le cinéma français s'émancipe de la gauche caviar pour s'intéresser au monde de l'entreprise et aux rapports qui le régissent. Des films aussi différents que "Ressources Humaines", "La Question Humaine" ou "Le Tueur" ont choisi de dépeindre cet univers qualifié précisément d'impitoyable, et dont les règles policées qui gouvernent les relations de façade camouflent mal la férocité de la logique libérale. La particularité du film de Léa Fazer est d'aborder cette question sous l'angle de la comédie, en mettant à l'épreuve de la concurrence un jeune couple. Fréquent dans la comédie anglosaxonne, ce choix innove dans le cadre de la pignolade hexagonale, puisque c'est la première des 27 comédies françaises critiquées dans ces colonnes à avoir opté pour le monde des affaires non comme prétexte ou toile de fond (comme dans "Olé" ou "La Doublure"), mais comme sujet.
L'autre singularité de "Notre Univers impitoyable" réside dans sa construction scénaristique. Afin d'illustrer les effets sur le couple du choix de l'un ou de l'autre comme associé, Léa Fazer décide de nous montrer l'un et l'autre. Selon que le talon aiguille de Margot se soit cassé ou que le camion ait bloqué le passage de Victor le jour du rendez-vous décisif, deux versions de l'histoire se déroulent devant nous, avec des passages entre ces deux réalités potentielles habilement ouverts par des réflexions du genre "Si c'était toi qui avait eu le poste, ça ne se serait pas passé comme ça".
Le procédé n'est pas nouveau, et Léa Fazer le reconnait en citant sa source d'inspiration, "Pile et Face", de Peter Howitt. Mais ici, cette arborescence se justifie parce qu'elle permet d'illustrer la différence de conséquences selon que ce soit l'homme ou la femme qui ait obtenu la promotion. Comme le dit Alice Taglioni, "Dans le film, et c'est toute son ironie, que ce soit Margot ou Victor qui ait le poste d'associé, la parité est respectée : c'est la catastrophe ! Mon personnage est obligé de coucher avec son patron, Victor doit presque fatalement se taper sa secrétaire."
Là repose l'intérêt du film, mais aussi sa limite : ce n'est pas tant la nature des événements qui arrivent à l'un et/ou à l'autre qui présente l'intérêt essentiel, mais leur comparaison, voire leur opposition. Car Léa Fazer ne trouve pas dans la description des deux options la même créativité qu'elle a mis dans la construction de l'ensemble. On n'échappe pas aux clichés, et dans les deux hypothèses, on ne semble pas savoir que Laurence Parisot dirige le MEDEF depuis plus deux ans.
Léa Fazer a voulu des personnages lisses, afin de mieux illustrer ce que les évènements en font : "Je voulais montrer des personnages qui n'ont pas de "défaut moral". Ils n'ont pas de problèmes majeurs, ils n'ont pas eu une enfance particulièrement malheureuse, ils ont une vie "normale", qui pourrait passer pour banale." Du coup, Margot et Victor sont dans dans la norme, certes, mais la norme de ce type de milieu fait froid dans le dos, et on a du mal à avoir de la sympathie pour eux, ce qui limite l'efficacité du propos.
Il faut plus chercher l'humanité du côté des personnages secondaires, notamment la grande soeur larguée de Margot, dont Léa Fazer parle ainsi : "À l'écran, mon féminisme est incarné par le personnage que joue Pascale Arbillot. C'est une féministe acharnée. J'adhère à chaque mot qu'elle dit, sauf qu'elle est ridicule. Chaque fois qu'elle ouvre la bouche ça fait rire ! Cette autodérision doit me rassurer."
Grâce à l'effet de miroir entre les deux éventualités, le film bénéficie d'un rythme "à l'américaine", au moins jusqu'aux deux-tiers du film ; après, et sans doute parce qu'on s'est trop éloigné de la situation de départ, on retombe dans un comédie à la française un peu poussive. Néanmoins, par son inventivité formelle et sa cruauté soft "Notre Univers impitoyable" se laisse regarder avec plaisir.
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