L'histoire que raconte Philippe Faucon se déroule durant l'été 2006, alors que l'armée israélienne a envahi le Liban et que les répercussions des bombardements de Tsahal se font sentir en France, dans une communauté musulmane révoltée devant l'impuissance des occidentaux, et parmi une communauté juive angoisséeface aux manifestations d'une nouvelle forme d'antisémitisme.
C'est bien là le sujet de "Dans la Vie", puisqu'on n'y voit que des membres de ces deux communautés, et que les gaulois n'y apparaissent que comme des silhouettes, ou alors dans le petit écran, pour commenter les images qui arrivent du Liban dévasté. Il y a donc Esther, matrone fatiguée de vivre dans son fauteuil électrique et jamais remise de la perte de la terre de son enfance, et son fils Elie, joué par Philippe Faucon lui-même, attentionné mais ayant sa vie de médecin hospitalier à faire.
De l'autre côté, il y a Sélima, la fierté de sa mère, infirmière libérale qui ne refuse pas un bon verre de vin, mais qui cache à sa famille sa relation avec un homme, et qui fuit l'inquisition de sa tante et de sa cousine voilée qui lui reprochent son mode de vie trop éloigné de leur conception de la religion. Il y a ses parents, Ali et Halima, qui rêvent de faire enfin le pélerinage à la Mecque. Il y a surtout leurs autres enfants, qui préfèrent se cotiser pour payer le voyage, plutôt que de voir leur mère travailler, et surtout travailler pour une juive.
Quand Halima expose à son mari le projet d'accueillir Esther chez eux, il lui objecte : "Mais nous n'avons rien en commun avec ces gens-là !". Propos démenti peu après, quand on le voit avec Halima dans leur chambre, en train d'écouter la musique de Lili Boniche venant de la chambre d'Esther, et qu'on voit la même nostalgie les submerger tous les trois à l'écoute de ce chanteur judéo-arabe symbolique d'une Algérie perdue. Ce qui les oppose, casher versus hallal, est bien peu de chose par rapport à ce qui les rapproche : le partage des mêmes souvenirs, des mêmes odeurs, des mêmes sons, d'un même sensualité orientale comme le résume la scène du hammam.
Lorsque les voisins lui reprochent de pactiser avec l'ennemi, allant jusqu'à mettre le feu à sa boîte aux lettres, Halima va voir l'imam pour lui demander conseil, et pour savoir si l'argent qu'elle gagne est réellement impie. Celui-ci lui demande alors si elle a entendu Esther dire du mal de sa religion ou s'en moquer ; devant sa réponse négative, il lui explique alors que l'islam respecte ceux qui le respectent, et qu'elle peut faire le pélerinage avec l'argent d'Esther. Scène cruciale, qui montre bien que l'antagonisme qui jettent musulmans et juifs les uns contre les autres ne vient pas de leurs religions, mais d'une perception exacerbée du conflit israelo-palestinien, et de l'exploitation que certains en font.
Phlippe Faucon, comme dans "Samia", a choisi de faire appel à des comédiens amateurs, ce qui le rapproche d'Abdellatif Khechiche. Mais la comparaison s'arrête malheureusement là ; alors que dans "L'Esquive" ou "La Graine et le Mulet", le travail de répétition proche de celui d'une troupe de théâtre donne un réalisme et une force qui font la marque de ces films, ici le jeu de certains acteurs manque souvent de naturel (surtout dans la première partie du film), et les dialogues paraissent terriblement artificiel, aggravé par un montage qui donne l'impression d'entendre encore l'écho du "Moteur !" au démarrage de chaque plan.
Dommage, d'autant plus que ces dialogues n'apportent pas grand chose par rapport à ce qui fournit la colonne vertébral du film, à savoir des scènes de chants, de youyous, des silences et des regards, une façon de filmer près des corps et où Philippe Faucon parvient à en dire beaucoup plus sur la proximité entre les deux vieilles femmes nées de l'autre côté de la mer. D'ailleurs, comme chez Khéchiche, ce sont les femmes qui font bouger les choses, avec leurs malices et leur entêtement, et leur vitalité entraîne le spectateur avec eux dans cette chronique optimiste et salutaire.
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