Moins un western qu'un film sur l'amitié, Rio Bravo est à la fois superbe et perfectible. Ses personnages sont très bien construits, joués à la perfection et leurs relations puent l'humanité, c'est sûr. Tous un peu bancals, ils se servent les uns aux autres de béquilles pour traverser un récit qui fait croire à l'ouverture à l'autre et réhabilite la possibilité d'une vraie confiance de façon apaisante, presque médicinale. D'autant plus que dans l'univers aride et sans pitié du western, c'est une chose assez peu commune, les valeurs et le devoir de respecter ses propres mythes en les incarnant ayant toujours eu un prix à payer, notamment chez John Ford. Malgré leurs défauts et justement parce qu'ils en sont bourrés, les personnages déclinent un kyrielle de façon de choisir le bien, qu'il n'est jamais trop tard pour embrasser. La notion, ici, est débarrassée de toute philosophie ou de toute métaphysique. La preuve en est, d'ailleurs, que je l'utilise en étant moi-même nihiliste. Si je parle de "bien", et si je le fais sans y mettre de majuscule, c'est justement parce que le film ne se préoccupe jamais d'absolu et tend tout entier vers des sentiments simples, débarrassé de toute prétention élévatrice, seulement préoccupé du bien qu'ils peuvent faire à l'humain. C'est dans l'humanisme du film que réside son pouvoir libérateur, bien plus que dans sa capacité à dresser une vision totale et sacralisée de ce que peut devenir l'Homme par le biais d'un héros. Le personnage de Wayne, d'ailleurs, est certes le shérif autoritaire et plein de sang-froid que Big John a si souvent incarné, mais il est aussi faillible et terrassé par la beauté furibonde de la superbe Angie Dickinson. Rio Bravo est définitivement le film d'une communauté, où personne n'est parfait mais où vos fautes sont toujours rachetées par les autres, et où l'on avance main dans la main, quand celle-ci ne manie pas le colt. C'est dans l'imagerie du western et ses exigences, justement, que se trouve le contre-coup qui rend le film imparfait à mes yeux. L'arc dramatique principal, celui qui suit le sort d'un bandit dont le frère, riche propriétaire au bras long, réclame la libération, n'est plus qu'un prétexte pour justifier le cadre et le décorum où les personnages se construisent petit à petit. Les méchants, archétypaux, sont dénués d'une vraie personnalité, ce qui dresse une frontière cruelle et arbitraire entre eux et le cercle de héros, alors même que le film milite tout du long pour la possibilité d'un repentir et d'une deuxième chance. Le final, du coup, manque d'intensité, ses effets et ses enjeux s'annihilant trop vite à cause de la nécessité de préserver les héros et de laisser chacun d'entre eux s'exprimer. Certes, pousser trop loin la dramaturgie aurait désamorcé la simplicité sur lequel le film avait tout du long fait son lit. Mais n'empêche, je crois tout de même qu'une fin moins conforme aux espoirs de voir tout le monde trouver une nouvelle vie aurait été plus réaliste, dédouanant le film d'un côté trop construit, trop beau pour être vrai, et qu'une mélancolie résiduelle aurait rehaussé le message, augmenté la beauté du tableau au lieu de venir la ternir. Bref, Rio Bravo est sublime, et je comprend qu'on l'adore. Il m'y manque quand même quelque chose.