Avec Rio Bravo, Howard Hawks prend à rebours les codes du western pour offrir à ce genre codifié l’une de ses réussites les plus totales. Sa grandeur, il la doit à l’audace d’une unité de lieu – nous restons prisonniers de la ville de la même façon que le frère Burdette est contraint de demeurer derrière les barreaux d’une cellule – qui échappe à tout dispositif artificiel, privilégiant au contraire la dispersion de l’intrigue étendue sur un temps long (quelques jours) et ouverte à des personnages secondaires qui, par leur épaisseur humaine, gagnent le premier plan. Aussi ne savons-nous pas immédiatement quoi regarder ni à quoi s’attacher : le shérif est mis K-O dès son apparition dans le saloon, il se traîne, est aveuglé par l’explosion d’un sac de grain, surpris par une mule sortant sa tête de la grange... il dysfonctionne, à l’image de son équipe de choc composée d’un vieil éclopé et d’un alcoolique soucieux de remédier à son ivrognerie.
Nous sommes loin des héros des grands westerns fordiens ou, du moins, cet héroïsme est caché, enfoui sous la banalité d’une charge étoilée qu’il faut porter et arborer sans cesse. Dans le film, l’autorité n’est jamais gagnée, elle doit se conquérir encore et encore, se matérialiser par des actes non de bravoure mais de violence ; il suffit de voir d’ailleurs ce plan magnifique sur une chope de bière dont le contenu jaune se teinte peu à peu du sang du cowboy blessé qui se trouve à l’étage pour saisir l’atmosphère paranoïaque dans laquelle évoluent les protagonistes, où le divertissement n’est qu’un masque dissimulant les coups bas. L’irruption d’une femme dans un milieu d’hommes perturbe davantage encore les personnages, à commencer par celui interprété par John Wayne : ridiculisé par une accusation erronée, humilié par un jupon rouge que le gérant du saloon souhaite offrir à son épouse Consuelo – cette même épouse qui lui offrira en retour un œil au beurre noir –, le shérif doit faire ses preuves, démontrer ses talents d’homme selon une caractérisation alliant virilité et gentleman, comme nous pouvons l’observer dans nombre de films de Hawks (Bringing up Baby en 1938 ou Harari ! en 1962).
Le cinéaste exploite ainsi le genre de la comédie, qu’il mêle au drame et à la tragédie portée par le thème musical de mort joué de manière intradiégétique par des Mexicains durant toute l’incarcération du frère rebelle ; il signe ainsi une œuvre-somme, rugueuse et joyeuse, taiseuse (cf. ouverture) et chantée, minimaliste et généreuse dans l’écriture de ses personnages hauts en couleur. Un chef-d’œuvre, en somme.