De même qu'une génération entière d'Isabelle a maudit les Poppys, je n'ai aucune raison de porter dans mon coeur la scie mystique de Soeur Luc-Gabriel, ayant eu le malheur de me prénommer Dominique et d'avoir 7 ans quand elle inventa sa rime "nique, nique" que mes condisciples se firent un plaisir de m'expliquer. La révélation de sa fin tragique et du prix que lui fit payer l'Eglise m'inclina cependant à la mansuétude et donc à aller voir le biopic que lui consacre le réalisateur flamand Stijn Coninx, récipendiaire de la mention spéciale du Jury International du film catholique pour sa biographie édifiante d'Adolf Daens.
Pays du Petit Vingtième et de l'Abbé Wallez oblige, le film s'ouvre sur un match de foot étrangement mixte, mélangeant scouts et guidouilles, avec une Jeanine Deckers au jeu viril et à la dégaine androgine, cheveux courts, marcel et épaules musclées. Le match est interrompu par la pluie, et tout ce petit monde se retrouve devant la projection d'un documentaire sur les missionnaires au Congo. Puis Jeanine se fait raccompagner en scooter par son soupirant en culottes courtes, et elle atterrit chez elle, dans le minuscule appartement de l'arrière-boutique de la boulangerie, où le père tente timidement de modérer sa Mère Thenardier.
Ce début assez caricatural laisse craindre un biopic classique : traumatismes de l'enfance/galère des débuts/succès éclatant/déchéance et addiction/résurrection du phenix. Heureusement, le film s'engage dans une autre direction dès que Jeanine prend le voile. Confrontée à l'autorité de la mère sup', mère de substitution plus sensible que l'originale, elle oppose sa rebellion adolescente et son énergie débordante qui finit par devenir contagieuse, y compris auprès de la doyenne en fauteuil roulant jouée par Tsilla Chelton.
A la différence des biopics musicaux de référence tels que "Ray", "Walk the line" ou "La Môme", "Soeur Sourire" ne peut raconter les montagnes russes de la renommée : en effet, les 2 millions d'albums de la Singing Nun ont été vendus en son absence, alors qu'elle restait cloîtrée derrière les murs de Fichermont. Et quand elle a quitté le couvent, dans ce mouvement de départ qu'elle répète quatre fois dans le film, le succès est déjà passé et elle ne connaîtra que le reflux, fait de dettes auprès du fisc et de salles minables au Québec.
On s'aperçoit alors que le sujet n'est pas tant la vie de Jeanine Deckers, mais bien plutôt le cheminement tortueux de la providence qui fait tomber sur la religieuse un succès qui ne lui appartiendra jamais mais qu'elle devra payer au prix fort. Les autres intrigues ne tiennent pas la comparaison, comme la relation impossible avec sa mère ou son homosexualité longtemps refoulée. Dans un souci de ramasser l'intrigue, les scénaristes ont pris quelques libertés avec la vérité historique : transformation de la soeur en cousine, anticipation du suicide de Jeanine et d'Annie qui en réalité a eu lieu en 1985.
"Soeur Sourire" se laisse voir sans déplaisir, particulièrement toute la partie centrale, celle qui traite de l'éclosion de Dominique (qui soit dit en passant, exalte le combat contre les Albigeois qui a laissé un souvenir tout particulier à Béziers et dans tout le pays cathare...). L'académisme de la réalisation, le souci de l'exactitude dans la moindre paire de lunettes à grosse monture sont hélas bien voyants. Heureusement, le jeu de Cécile de France qui portait ce projet depuis sept ans donne corps à son personnage ; "donne dorps" semble bien choisi, tant l'actrice belge donne une dimension physique à son rôle, jusqu'à de brèves explosions de violence qui ponctuent son parcours.
Reste maintenant à me sortir de la tête la bondieuserie tressautante...
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