Quelle entrée choisir pour parler de ce film de Bryan Singer produit par Tom Cruise, et objet de polémique outre-Rhin du fait de l'interprétation du rôle d'un héros national par l'apôtre de la Scientologie ? Peut-on parler de l'intrigue, et du scénario qui tente de raconter l'histoire de l'attentat du 20 juillet 1944 comme un thriller ? Même si on apprend certaines choses sur la partie berlinoise de la conspiration, l'enjeu du suspense est à peu près aussi prenant que celui de la fin de "L'Evangile selon Saint Mathieu" ou de "La Passion de Jeanne d'Arc" : pas besoin d'avoir vu "La Chute" pour savoir qu'Hitler survivra neuf mois à Von Stauffenberg.
Du coup, les péripéties s'enchaînent mollement : une scène au Q.G. de la Wehrmacht, une scène de réunion des conspirateurs, une scène familiale, une scène au Q.G. de la Wehrmacht... Cette impression de répétition est renforcée par l'annulation in extremis de la première tentative du 15 juillet, et pourtant montrée intégralement, suspense oblige.
Va-t-on alors se tourner vers la psychologie des personnages ? Là encore, peu de choses à relever : le colonel comte Claus Von Stauffenberg nous est introduit en train d'écrire sous sa tente en Afrique tout le mal qu'il pense de ce régime. Une fois passée cette ouverture, à part une allusion à sa foi catholique, Bryan Singer s'attache bien moins à ses motivations qu'à son action de meneur d'hommes. Quant aux autres membres du complot, ils sont réduits à des silhouettes, souvent caricaturales : le politicien manoeuvrier (Goerdeler), le général opportuniste (Fromm), l'autre général pusillanime (Olbricht)...
L'intérêt du film réside-t-il alors dans la réalisation ? Réponse encore négative, car Bryan Singer semble empêtré par le poids de l'histoire qu'il raconte, et l'utilisation de la grosse machinerie du cinéma ne surprend jamais, toujours utilisée de manière linéaire : travelings aériens, caméra en plongée qui se met à tourner pour lire l'étiquette du disque qui illustre la seynette que joue les enfants du comte : Die Walküre, explosion au ralenti, musique orchestrale de John Ottman mille fois entendue. Il n'y a qu'une véritable scène de cinéma, celle du bureau des transmissions où les employées doivent lever la main quand un message important arrive, et où l'une après l'autre, elles élèvent un bras hésitant et incrédule à la lecture de la nouvelle de la mort du führer.
Alors, l'aspect plastique du film ? Non, décidément, difficile de s'affranchir des codes imposés par Arno Brecker, l'architecte du régime nazi, et par le SS-Oberführer Dr. Karl Diebitsch qui, comme nul ne l'ignore, dessina en 1932 l'uniforme de la SS : à croire que cette esthétique totalitaire et prétentieuse finit par contaminer la plupart des films qui traitent de la machine bureaucratique du III° Reich. Alors que dans "La Chute", cette grandiloquence prenait un caractère dérisoire alors que tout Berlin s'effondrait, ici elle est reconstituée à plat, et la caméra joue avec complaisance de la géométrie glaciale des bâtiments nazis.
Quant à l'interprétation, elle ne surprend pas plus. Tom Cruise présente le même aspect lisse que dans toute sa filmographie récente, et l'acteur-producteur a pris soin de ne pas prévoir de rôles qui auraient pu lui faire de l'ombre : Carice Van Houten (la Rachel Stein de "Black Book") se contente de jouer la future veuve éplorée, et Kenneth Brannagh n'a qu'un rôle passager.
Ni tentative scientologue de réécrire l'histoire, ni oeuvre originale appuyée sur un moment de l'histoire comme "La Chasse à l'Homme" de Frtz Lang, "To be or not to be" de Lubitsch ou même "La Nuit des Généraux" d'Anatole Litvak, "Walkyrie" se contente d'être un téléfilm sur grand écran légèrement ennuyeux, une reconstitution où ne manque pas un bouton aux felbluse, mais où le souffle fait cruellement défaut.
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