"And then... I really really hoped I wouldn't die." Deux tueurs ont pour ordre de se réfugier à Bruges et d'attendre les ordres de Harry, leur boss. Pour Ken, Bruges est un conte de fée, le lieu idéal pour passer de belles vacances. Ray considère au contraire la ville comme un "trou paumé", et la culpabilité qui le dévore le pousse encore plus à tirer une sale gueule. Lorsque, seul dans la chambre d'hôtel, Ken reçoit le fameux appel de Harry, il comprend que les choses prennent une tournure... compliquée. Notons d'abord que "In Bruges" est très mal présenté au public. En effet, non seulement le titre français souffre d'une traduction immonde, mais en plus ont été sélectionnés pour le trailer officiel les passages les plus drôles du film ; ajoutez à ça une affiche bien poilante, et le spectateur a toutes les chances de tomber en plein dans l'erreur. D'ailleurs, la jaquette du DVD nous parle d'un "film de gangster comique dans la lignée de "Pulp Fiction" et "Snatch"". Bien que je sois un fan absolu de ces deux films (qui eux non plus ne se ressemblent pas du tout), en lisant ça j'ai juste envie de trucider les connards chargés de la promotion. "In Bruges" n'est pas une parodie désopilante de polar pégreux ; c'est une comédie noire doublée d'un polar tragique triplée d'une analyse très subtile de l'âme humaine (et notamment du remords) à travers des personnages écrits avec grand soin, le tout dans un cadre très particulier utilisé avec beaucoup de poésie. La trame, bien qu'efficace, reste relativement classique ; c'est la manière osée dont Martin McDonagh, auteur de pièces de théâtre reconverti en cinéaste, explore ce pitch de polar qui fait toute la réussite de ce premier long-métrage : il fait ici un choix gonflé qui consiste à s'intéresser davantage aux personnages qu'au récit, des personnages éloignés de tous les archétypes sans personnalité que le cinéma nous montre trop souvent. Dans les moindres détails, chaque rôle est d'une justesse sans faille et d'un aboutissement bluffant, c'est pourquoi le film peut être vu des dizaines de fois avec toujours autant d'admiration vis-à-vis de son écriture. Par ailleurs, l'idée de filmer en grande partie en gros plans afin de coller au plus près des personnages est très judicieuse. Avec "In Bruges", le dramaturge anglais réussit ainsi un pari qu'on croyait irréalisable : tailler des dialogues hilarants, carburant au burlesque même dans les plus lourds moments de désespoir, et seuls les grands artistes sont capables d'accomplir de telles choses. Sur ce flot d'émotions vient se poser le sublime thème musical de Carter Burwell, qui apporte une mélancolie fascinante à un climat déjà atypique. Et le tout se clôt sur un final grandiose. Que dire des acteurs ? Colin Farrell et Brendan Gleeson, les deux irlandais, sont parfaits de bout en bout, tout comme l'anglais Ralph Fiennes, jubilatoire en gangster impitoyable mais non dénué de principes. Face à de tels performances, je me demande ce que peuvent bien foutre les Oscars parfois. Enfin bref... Après une heure et quarante minutes d'une beauté encorcelante, il est difficile de dire qui, de nos zygomatiques ou de nos glandes lacrymales, a le plus travaillé. Ce qui est clair, c'est qu'on ne ressort pas indemne d'avoir vu quelque chose d'aussi bouleversant. Reste à voir ce que l'avenir réserve à ce génie britannique, qui nous prépare actuellement un second long-métrage et, pourquoi pas, un deuxième chef-d'oeuvre !