Suspiria est un chef d’œuvre d’élégance et de raffinement, probablement le meilleur film d’Argento avec Inferno. Comme quelques films (Hardware, Hausu par exemple), Suspiria est avant tout un film d’ambiance, où la forme prend le dessus sur le fond. C’est peut-être ici l’un des exemples les plus extrêmes.
Je commence par l’interprétation. Si quelques rôles secondaires ne sont pas parfaits (outre l’aveugle, il y a des jeunes filles qui ne sont pas géniales dans leur jeu, c’est le moins que l’on puisse dire), les premiers rôles sont décapants. Jessica Harper est brillantissime dans son personnage. Non seulement elle a un physique singulier, mais une expressivité (la vigueur de son regard n’y est pas étrangère) remarquable. Elle est dans la peau de cette jeune danseuse, et s’investit à fond. Bravo ! Le film repose essentiellement sur sa prestation, mais d’autres acteurs sortent du lot. Il y a deux légendes du cinéma avec Joan Bennett et Alida Valli. Si la première est efficace, la seconde est juste impressionnante dans son rôle de femme de poigne. Elle n’a pas tourné avec les plus grands réalisateurs italiens et français de l’époque pour rien. Quelle présence ! L’apparition d’Udo Kier est très courte mais fait son petit effet.
Le scénario de Suspiria est assez sobre, voir simple. L’enquête au final est rejetée au second plan, mais Argento fait des choix plein d’intelligence. Une école de danse comme lieu de l’action c’est original, le fait de privilégier le huis clos est excellent, et surtout Suspiria possède une gradation remarquable, et un rythme très efficace. Il est vraiment difficile de décrocher devant ce film. La fin manque peut-être d’intensité, mais il faut dire que les effets spéciaux ne percutent plus vraiment.
Mais, le plus important dans ce film, c’est son aspect visuel, et là, c’est juste irréprochable. Les décors sont fantastiques (dans le genre, jamais égalé à mon sens), avec un mélange d’Escher, de néo-gothique, de design seventies, totalement flamboyant et déconcertant. Qu’est ce que j’aimerai vivre dans une maison de Suspiria ! Il y a une richesse de ce point de vue hallucinante. On se croirait dans un conte. La photographie est du même acabit, majestueuse. Le travail sur les couleurs, les contrastes, les clairs-obscurs, le rendu des matières est incroyable. Il y a une finesse à ce niveau qui dépasse l’entendement. A regarder sur grand écran, avec un support de qualité, et dans le noir total pour savourer. La mise en scène d’Argento est au diapason. Sa caméra est magique, trouvant des plans, des cadrages géniaux et évoluant au fil de ses personnages et des couloirs de cette école avec une dextérité époustouflante. C’est clair que même ses films récents qui ne sont pas tous si mauvais font néanmoins un peu pitié fassent à un travail de cet acabit. Mais comment livrer une telle partition à la chaine (il l’a déjà fait dans Inferno !). Enfin les meurtres sont grandioses, et là encore, si certains effets ont vieilli (attention je ne parle pas du sang super rouge évidemment voulu pour s’accorder avec le reste), la manière dont ils sont amenés et leur élégance toute picturale emporte le morceau sans difficulté.
Je ne peux terminer sans parler de la musique des Goblins. Fascinante, c’est l’une des plus belles partitions du cinéma. Elle emporte l’esprit dans ce monde hors du temps et de l’espace. Omniprésente, un tel chef d’œuvre ne pouvait que mériter d’être de presque toutes les images.
Pour conclure sur Suspiria, c’est un chef d’œuvre. C’est vrai la question pourrait se poser, compte tenu de quelques faiblesses, mais compte tenu de son âge (bientôt 40 ans quand même) et de son budget (très limité), et de ce qu’il nous offre aujourd’hui, on ne peut pas ne pas considérer ce film comme un chef d’œuvre. Encore une fois on peut ne pas adhérer à la forme, au style, c’est un fait, mais un critique doit juger sans aucun sentiment personnel, et ce qu’il reste est magistral. Franchement j’attends le remake, car il va falloir que l’équipe fasse plus que de se remuer pour être au niveau.