Le film préféré de Polanski parmi ceux qu'il a réalisés... Et ce n'est pas un hasard.
Je l'ai vu plus de dix fois et je ne parviens pas à m'en lasser. Ce qui devait être une parodie-hommage aux Dracula de la Hammer a, de très loin, dépassé ses modèles. Au-delà du fascinant mélange entre l'humour et le film d'épouvante (sixties, hein, l'épouvante : on ne se réfère pas aux films d'horreur actuels), c'est l'atmosphère de ce film qui le rend unique.
Certes, il y a le casting merveilleusement ajusté, les décors bleutés, les costumes verdâtres, la musique sublime du trop tôt disparu Komeda, une esthétique d'ensemble unique et visionnaire (le générique, à lui-seul, fait penser à du Tim Burton avant l'heure avec ses typos rappelant l'étrange Noël de Mr Jack, quand à la neige de studio et à la lumière, elle évoque celle de Batman Le défi).
Mais il y a autre chose, un charme particulier, une sorte de mélancolie étrange. Le rythme est plutôt lent, mais cela permet justement au film de s'installer, et au spectateur de se plonger dans son atmosphère bizarre et poétique. De ressentir l'ennui latent chez le naïf Alfred (Polanski) et la faussement candide Sarah Chagall (Sharon Tate, d'une beauté et d'une grâce inégalable) dans cette région perdue et glaciale de "Transylvanie sub-carpathique", ennui que ne pourrait combler qu'une péripétie érotique... Car le démon de la chair travaille prsque tous les personnages : l'aubergiste, sa fille, le serviteur du scientifique chasseur de vampires, et les vampires eux-mêmes.
Or, si tout le film est irrigué de cette sensualité propre au mythe du vampire, il l'est de façon barrée, inattendue, iconoclaste. A l'époque, le bal des vampires dynamite les codes : les vampires gagnent, la belle victime est une coquine somme toute consentante (enlevée par le Comte, elle ne souhaite pas s'enfuir du château car elle a trop envie de participer au bal pour lequel une belle robe lui a été donnée) et Herbert Von Krolock, fils de son excellence, est un vampire homo...
Le Bal des vampires est au bout du compte un OVNI, un bijou inclassable. Ni film d'horreur, ni parodie comique au sens où l'entendent les amateurs d'Airplane ou Scary movie, il trace son chemin poétique sur une ligne de crête avec la légèreté - mais aussi le caractère inquiétant et fascinant - de quelques gouttes de sang tombées sur la neige.
A noter que la comédie musicale, sortie en 2014 pour la version française, n'a pas la plus petite once du charme propre au chef-d'œuvre dont elle est issue.