Quelle étrange idée que celle de situer l'intrigue du "Vallon" en France de nos jours. Ce roman paru en 1946 se déroulait dans la campagne anglaise, et mettait en scène Hercule Poirot (même si Agatha Christie fit disparaître son détective belge dans l'adaptation théâtrale qu'elle signa cinq ans plus tard) ; c'était un pur Agatha Christie, avec un lord gentleman-farmer et son épouse, un médecin, une sculpteur, et toute une floppée de majordomes et de cuisinières, bref un polar typically british.
L'intérêt de transposer l'action de nos jours aurait été de moderniser tout ce contexte, et ces relations de classe très datées, en ne conservant que les péripéties de l'intrigue policière. Mais Pascal Bonitzer a curieusement conservé les principales caractéristiques des personnages, se contentant d'une francisation réduite à une correspondance terme à terme (lord = sénateur, médécin = psychiatre) et à la suppression du personnage d'Hercule Poirot.
Il en résulte une ambiance étrange, très surannée ; à la fois dans la description de cette bourgeoisie pompidolo-chabrolienne, dans la menée maigretiste de l'enquête, et dans des dialogues trop écrits qui sonnent souvent faux. Pascal Bonitzer explique le concept qui a présidé à la réalisation : "C'est un Cluedo si l'on veut, c'est aussi une sorte de puzzle, et j'ai voulu que formellement le film soit construit comme cela. Peu de plans-séquences. Les plans sont morcelés, éclatés, comme des pièces de puzzle qui attendent d'être rassemblées, emboîtées, mais qui se présentent dispersées sur la table." Voila qui éclaire l'impression bizarre que j'ai eu plusieurs fois durant la projection, devant des faux raccords ou des ellipses malvenues, et une absence de fil conducteur qui amène à une révélation qui tombe comme un cheveu sur la soupe après des fausses pistes elles-mêmes peu convaincantes.
Dans cette galerie de personnages caricaturaux, chacun fait ce qu'il peut et on peut rendre grâce à Pierre Arditi ou à Valeria Bruni Tedeschi pour leur conscience professionnelle, même si elle ne suffit pas à rendre crédible des dialogues bien poussiéreux. Seule à surnager dans ce marasme, Miou-Miou donne vie à son personnage de grande bourgeoise nunuche, prononçant d'une voix haut perchée des répliques du style "Ah bon ? Il travaille dans l'humanitaire ? Quelle drôle d'idée !" ou lorsque sa maison est envahie par une perquisition "A quoi ça sert que tu sois au Sénat ?".
Moins heureux que Pascal Thomas dans l'adaptation hexagonale d'Agatha Christie, Pascal Bonitzer a sans doute été victime de la demi-mesure entre la reconstitution fidèle comme celle de Podalydés avec Rouletabille et la transposition libre comme celle de Truffaut avec David Goodis ou William Irish. Décidément, vivement le début du Festival de Cannes, que se rouvrent les vannes d'un cinéma innovant !
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