Le personnage principal, interprété par Mark Wahlberg, s’appelle Elliot Moore ; nous percevons d’entrée de jeu dans son nom l’alliage de deux forces qui ne cesseront de s’affronter durant le long métrage à savoir la religion d’une part, Elliot signifiant « le Seigneur est mon Dieu » en hébreu, la science d’autre part, Moore pouvant correspondre, entre autres, à Edward F. Moore qui théorisa la miniaturisation de la technologie ou à Stanford Moore, prix Nobel de chimie en 1972. Ce dernier nous intéresse plus particulièrement parce qu’il a étudié la structure d’une enzyme, substance produite par des organismes vivants qui intervient dans le cadre des changements chimiques ; or, que met en scène The Happening sinon la diffusion d’une toxine sécrétée par les végétaux en réaction au dérèglement de la vie humaine ?
Le professeur constitue ainsi un avatar du Malcom Crowe de The Sixth Sense (1999), un être tiraillé entre la connaissance scientifique et une nature spirituelle qui le change en âme égarée et tourmentée. Une intelligence similaire rassemble les deux films : celle du twist, comprenons du retournement de situation. Un psychologue présenté comme vivant apprend qu’il est un défunt, une végétation qui est moins déréglée que révélatrice, tel un miroir, du dérèglement de l’humanité. Aussi les personnages apparaissent-ils en caricatures monolithiques que renforcent des dialogues pompeux, une direction d’acteurs volontiers outrancière et une direction artistique pleine de choix curieux. Ils sont des fantoches jetés sur la scène d’un théâtre à ciel ouvert, leur bêtise imprègne l’écran par l’ingéniosité sadique des exécutions ainsi que par la multiplication des gros plans qui déforment le visage des comédiens. Ouvriers de chantier, policier, femme d’affaires, militaire… Tous se définissent par un costume, par une fonction précise dans une société qui les dénature.
M. Night Shyamalan propose, par le cinéma de genre, un renaturation, un raccord à la nature véritable de l’homme ; ce faisant, il nous convie à un spectacle de grotesques, à une farce cynique qu’il regarde avec une distance complaisante, comme satisfait d’une vengeance étendue sur une heure et demie. Il choisit de faire de son trio principal les membres d’un sauvetage : d’abord séparés, ils vont progressivement voir leurs liens se resserrer en harmonie avec Mère Nature, la seule divinité qui vaille et contre laquelle la vieille folle se tape la tête – échec de la bigoterie qui cache, sous ses airs de sagesse, un fanatisme et un fétichisme impropres.
Les lieux urbains que traverse la famille sont d’ailleurs marqués par leur facticité et leur convention : la maison témoin possédant une plante en plastique, le hall de la gare, la salle d’un diner ou celle d’une classe. Des lieux qu’on traverse, dans lesquels on accomplit des tâches. Des lieux dépourvus de spiritualité. Le cinéaste a donc foi en une réconciliation de l’homme avec la nature, qui prend l’aspect ici d’une communion, d’un don de soi, jusqu’à la fertilité retrouvée – le test est positif, après trois arrêts aux toilettes durant le film ! Elliot, Alma et Jess sortent malgré le danger imminent, la clausule invente un retour au Jardin d’Éden après les châtiments divins. Commencer par l’Apocalypse pour mieux remonter à la Genèse.
La pertinence du propos ne saurait pourtant éluder l’hétérogénéité d’une œuvre qui échoue à construire une intrigue sur la durée, la faute à un pullulement de thèmes traités superficiellement, à une absence de mystère et de poésie, et qui pâtit d’un mélange des tons guère maîtrisé. Une curiosité portée par la partition atmosphérique de James Newton Howard.