Ce film faisait face à de nombreux défis puisque c'est
une adaptation d'une des plus grandes pièces de théâtre de la littérature occidentale, et ils ont tous été relevés à la perfection! Il a su saisir les multiples aspects de l'œuvre shakespearienne en dégageant une interprétation baroque assumée.
Le baroque est un mouvement littéraire caractérisé par l'idée de l'instabilité (étant apparu dans le contexte difficile des guerres de religion et des découvertes scientifiques bouleversantes), de l'illusion, du caractère éphémère de la vie et du lyrisme, de l'excès.
Toutes ces notions sont exprimées dans le film avec l'esthétique 90s poussée à l'excès, l'idée du too much, et d'un décor au caractère totalement loufoque, mais qui a du sens.
Ce film est un éloge à Shakespeare et restitue parfaitement l'ambiance baroque de Roméo et Juliette. Pour être parfaitement objective, puisque Roméo et Juliette tient aussi d'un héritage classique, l'interprétation baroque de l'œuvre est totalement subjective. Personnellement, j'ai trouvé qu'elle correspondait parfaitement à ma vision de la pièce et m'a fait réfléchir et voyager, c'est ça la magie du cinéma. Cependant, ça me frustre parfois qu'elle soit injustement méprisée juste par son aspect kitsch et too much.
Voici d'autres instruments pour vous convaincre du génie du film, si vous avez le temps de réfléchir dessus:
Le Baroque c'est une instabilité, un mélange des genres et le film s'inscrit totalement dans la tradition du genre burlesque (traiter de sujets nobles de manière vulgaire) rien que par l'endroit où sont placés les personnages. Bien que Roméo et Juliette ne soit pas une pièce totalement baroque, il y a l'idée de tragi-comédie, de ne pas respecter certaines règles du théâtre classique. De plus, le fait d'utiliser les dialogues originaux renforcent ce décalage, tout comme pour les contemporains de Shakespeare il y avait un décalage entre les thèmes traités et la manière dont ils l'étaient. Puisqu'aujourd'hui on ne remarque pas le ressort burlesque de Roméo et Juliette, toutes les autres adaptations oublient cette subtilité!
Le baroque se caractérise aussi par l'illusion et la mise en abîme, comme le disait Shakespeare "Le monde entier est un théâtre", or, le fait d'installer la pièce de théâtre dans un film est une mise en abîme! Surtout par le fait qu'au théâtre il y a un public, alors que le film met une barrière entre le public et la fiction, comme si c'était la réalité, donc une réalité relative et où nous sommes des acteurs, c'est du génie.
On peut aussi parler de la métaphore (figure de style baroque par excellence) des deux entreprises capitalistes qui se font guerre jusqu'à entraîner la mort, donc une critique de la société capitaliste. Le fait que le dilemme entre la raison et le cœur soit ici représenté par un dilemme entre le cœur et dans un sens la concurrence capitaliste, peut nous amener à nous demander si nous sommes vraiment libres dans cette société libérale, puisque notre raison est parfois dictée par des phénomènes économiques et sociaux, se pose donc la question du libre arbitre.
On peut aussi se questionner sur la place de la religion dans le monde actuel par la position du pasteur, un monde de plus en plus désacralisé ce qui nous mène à une rupture des liens sociaux, au profit d'une manière de pensée totalement rationnelle et individualiste.
Je ne reviendrais pas sur le scénario en lui-même puisque nous ne sommes pas là pour juger Shakespeare mais ce que c'est interprétation apporte de plus à l'œuvre originale. Si on compare à la version de 2017 qui n'apporte aucune nouveauté, celle-ci est un éloge à la pièce et la met totalement en valeur. J'ai trouvé le jeu d'acteur convaincant, la mise en scène totalement dans la continuité de la direction prise par le film avec des situations grotesques, absurdes à des fins artistiques: montrer le caractère absurde de la situation, de notre impuissance face à la fatalité, de cet excès de pathétique qui en devient exagéré et déséquilibré.
Les décors sont d'ailleurs souvent reflet de ce qui se passe dans la scène et donc poursuivent l'idée de la métaphore et de la mise en abîme chères au baroque, comme la scène de fin avec de nombreuses fleurs dans l'Église et ce parallèle entre la religion, qui symbolise notre place dans ce monde, et la fatalité de la mort, l'éphémérité de la vie, comme celle des fleurs d'ailleurs (clin d'oeil aux natures mortes?).
La présence des médias tout au long du film peut aussi faire écho au fait qu'ils ne racontent pas toujours la réalité ou la raconte à leur manière, instable et parfois dans l'illusion.