Adapté du chef d'œuvre de Steinbeck par John Ford en 1947, ce film nominé dans sept catégories d'oscars (il remporta la statuette du meilleur film et de la meilleure actrice pour Jane Darwell) mérite une redécouverte minutieuse.
L'histoire est très fidèle au livre : c'est celle Tom Joad, libéré après 4 ans de pénitencier, qui retrouve son village désert, abandonné des fermiers qui y vivaient. Lors d'une scène filmée à la lueur d'une bougie (instant fébrile et figé dans le temps d'une grandeur à l'image de son réalisateur), Muley, qui est resté, lui raconte comment ils ont étés chassés par les grandes entreprise privées, avec quelle brutalité cela fut fait. John Ford commence ainsi son film en mettant en scène un flashback d'une cruauté stupéfiante, qui par ce premier choc nous plonge directement dans cette réalité crue de la condition ouvrière décrite par Steinbeck. Le film continue en retraçant le trajet des Joad à la recherche de travail, enchaînant scène cadrées par de nombreux plans coupés à la taille mais on remarque aussi que Ford a tendance à réaliser aussi une bonne poignée de plans américains, généralement utilisés pour les westerns. Cela donne un certain style au film, contribuant bien à l'ambiance sèche et accablante très « road movie » qui retranscrit à la perfection celle du bouquin. La structure du film, pratiquement similaire à celle du livre, se découpe en longs morceaux de descente dans la misère, où les difficultés qui s'opposent à la survie des Joad sont légions et qui s'aggravent petit à petit, un peu comme une mort lente, alternant avec des « paliers » qui sont marqués par un regain de vigueur de la part des protagonistes, ou bien par une aide due au hasard, qui les permet de continuer. Mais en réalité, ces moments de bref espoir d'une vie convenable ne sont là que pour prolonger leur supplice tout en les gardant « assez intacts » pour pouvoir l'endurer. On constate au fil de la trame que Tom et sa mère entretiennent un lien privilégié qui se renforce avec le temps, et qui persiste alors que la famille se désagrège peu à peu face aux nouvelles difficultés sans cesse renaissantes. Les thèmes développés à travers la critique du capitalisme par Steinbeck affluent : le chacun pour soi, la recherche du profit au détriment des employés, les « pièges » du système, et enfin la violence des policiers sur laquelle Ford insiste particulièrement. La famille des Joad est représentée par un casting impressionnant : Henri Fonda trouve ici une de se plus grand rôles en incarnant un Tom Joad aussi puissant que le héros du livre, le grand père énergique et plein d'entrain est campé par Charley Grapewin, la mère de Tom nous est restituée de façon poignante par Jane Darwell, et Casy, le pasteur, même si il est bien différent que celui que je m'imaginai en lisant le livre, a droit a une interprétation de qualité, très théâtrale, par John Carradine qui ne cesse de mimer des scènes de façon hilarante lors de sa première rencontre avec Tom Joad. Seule l'actrice qui joue Rosasharn est nulle, de plus le personnage n'a ici que peu d'importance alors que dans le livre il bénéficie de plus d'attention. Quant à la musique, le film en est dépourvu, si ce n'est le refrain repris du générique (de début et de fin) pour le bal et quelques autres scènes. Certes cela donne un ton plus réaliste au film, mais tout le monde n'appréciera pas forcément ce choix. Quand au final, et bien...c'est un cas qu'il est peu aisé de juger. Parce qu'il ne respecte pas du tout le livre, et qu'il termine le film sur une note optimiste et légère, une fin presque désuète à côté de l'intensité tragique de la déchirante montée dans la catastrophe qu'est celle du livre. Et parce que malgré tout, la dernière scène entre Tom et sa mère, est un véritable instant pur de cinéma, où Henri Fonda réussit un tour de force à la hauteur de sa réputation, le tout achevé par un dernier plan large sur Ma Joad en larmes...C'est du grand art, c'est si émouvant qu'on pardonne à Ford ce choix déstabilisant au premier abord car il à mes yeux il dévalue le film par rapport au livre et le fait souffrir d'une comparaison d'ampleur avec l'œuvre littéraire qui paraît avoir plus de poids...