Après avoir fait tourné le regretté Laurent Terzieff sur "La voie lactée", celui qui avait reçu Lion d'Or à Venise en 1969 pour "Belle de jour" sortait son tristement célèbre "Tristana" (1970), l'un de ses derniers films.
Synopsis : Tristana, jeune orpheline, est recueillie par un aristocrate qui en fera son amante. Tombant amoureuse d'un peintre de jeune augure, elle quitte le foyer. Mais une tumeur au genou la pousse à revenir vers son premier amour... .
Avec une nécrose et une monstruosité incroyable, Luis Bunuel s'évertue à tomber dans une misogynie intraitable et dans un anticonformisme total. La partition des acteurs, tout aussi magistrale soit elle, marque le fil conducteur de "Tristana". D'une pudeur désenchanté, Luis, de par un scénario fort simple, alambique les situations pour les traiter de son aura toute particulière, malsaine, noire, misogyne et autoritaire à souhait.
C'est avec amertume et sans opinion que l'on ressort de "Tristana". D'une noirceur encore plus malsaine, "Tristana" est l'autre penchant de "Viridiana". Et encore de montrer les paradoxes d'un Bunuel tout en puissance... . Malheur, oh malheur ! ...
Ici, Luis Bunuel ne peut plus s'offrir son fétichisme habituel. Avec le personnage de Tristana, il s'évertue à changer la donne et à montrer Catherine Deneuve sous un autre feu que celui de "Belle de jour".
On assiste ainsi à l'un des films les plus personnels de Luis Bunuel (je trouve). L'atmosphère qu'il nous tend ne nous rend pas sourd, bien au contraire. D'Espagne au Mexique et du Mexique à la France, cet artiste touche-à-tout ne rentre pas dans ses vices les plus incestueux soient ils, il nous les transmet avec sa patte inimitable. Ici, Luis brosse le portrait d'une aristocratie et d'une forme d'autoritarisme en fin de vie. Fernando Rey (dans l'un de ses meilleurs rôles sans aucun doute !!) apporte ici toute la nécrose de son talent et, de par la force d'interprétation qu'il dégage, fait avancer le film à lui tout seul. Excellentissime ! Avec ce rôle, il se donne à Bunuel, se lâche, et ose. Brillantissime ! Plus qu'une interprétation, ce Fernando montre que son absence de l'écran ne se fait pas ressentir. Du grand art à tous les étages. Alléluia !
Quant à elle, Catherine Deneuve, aussi méconnaissable soit elle, avance dans l'antagonisme des classes et illumine de son talent naturel la classe française dans cette production espagnole. A ses côtés, la non moins sublimissible Lola Gaos (elle avait joué dans "Viridiana" et ira tourner dans "Folie meurtrière" de l'italien Tonino Valerii) fait tout pour sauver les charmes inhérents d'une bourgeoisie qui fait un peu trop décrépie aujourd'hui. Toujours côté casting, le charme de "Tristana", c'est aussi le fougueux Franco Nero qui, dans le rôle du peintre, assure un rôle dramatiquement correct et positivement hautain : ce que j'appelle la classe à l'italienne dixit les Gassamn et autres Tognazzi. Tous mes chapeaux Franco ! L'inoubliable Django de "Django", c'est lui, assurément !!!
Toujours dans le charme inhérent de "Tristana", c'est bien sûr la mise en scène classieuse de Luis Bunuel. D'une peinture certes iconoclaste à la désuétude de la sujette en passant par le thème de la religion sur un ensemble peinture surréaliste, cette ode à la différence ne se fait pas attendre. Parfois décrépie, avec le choix d'un rythme lent (qui fait grandement penser à "Viridiana"), "Tristana" peut marquer les esprits comme elle peut ne pas le faire. En revanche, Bunuel enlève son humilité coutumière, se purge de toute sa réserve pour nous saupoudrer et distiller tout le poignard dont il a le secret.
Pour terminer, "Tristana" est une œuvre forte qui en découragera certains.
Spectateurs, cette enjambée lyrique (pour la mise en scène englobant le trio Deneuve/Gaos/Bunuel) n'est pas accessible à tous et ne saura captiver les bunueliens seulement, n'en déplaise à Fernando !
Accord parental souhaitable.