Lorsqu’une œuvre est adaptée au cinéma, les fans sont souvent partagés entre l’excitation et l’angoisse, et cela est encore plus fort lorsqu’il s’agit d’une œuvre considérée comme culte. « Devilman » de Go Nagaï (notamment connu chez nous pour « Bomber X », « Cutey Honey/Cherry Miel », mais surtout pour « UFO Robot Grendizer/Goldorak ») est l’un des mangas les plus populaires au Japon depuis sa première parution en 1972. Depuis, on ne compte plus les rééditions de cette œuvre, qui est même à l’origine de toute une saga d’autres mangas (« Mao Dante », « Devilman Lady », « Violence Jack »). Il serait donc faire preuve d’euphémisme en disant que le film tiré de cette série était grandement attendu (moi-même grand fan du manga, je trépignais d’impatience !). Le pitch de départ reprend sensiblement l’intrigue du manga : découverts lors de fouilles en antarctique, des monstres sont libérés et prennent possession des humains. Ils décident alors d’attaquer les humains, au milieu de cette folie, une possession se passe mal sur un jeune garçon : après avoir absorbé le monstre, au lieu d’être possédé, c’est toujours lui qui a contrôle de son esprit et de son corps…ainsi né Devilman, unique espoir de l’humanité face aux monstres qui se sont constitués en une énorme armée dirigée par un certain Satan…Alors, l’attente valait-elle le coup ? Et bien malheureusement, malgré de bonnes intentions, on ne peut pas dire que "Devilman" fasse véritablement honneur à son modèle papier : malgré une durée de presque 2h, le film ne prend pas le temps de bien expliquer la situation : ici on nous montre des monstres sortis presque de nulle part et qui décident comme ça d’attaquer les humains pour le plaisir (alors que dans le manga, on nous explique que ces créatures sont en fait les premiers habitants de notre planète qui furent emprisonnés dans la glace au moment de l’ère glaciaire. Donc, quand elles se réveillent, elles sont outrées de voir que leur monde a été « conquis » par les humains qu’ils considèrent comme des êtres inférieurs ; c’est pourquoi ils décident de les attaquer : ils veulent récupérer leur planète). En outre, le film est assez mou et les rares séquences d’action sont trop courtes pour relever le rythme de l’ensemble. Mais ce qui est vraiment le plus révoltant quand on connaît le support papier, c’est que l’ambiance si particulière de « Devilman » soit absente du film : autant le manga semble être le plus bel exemple de nihilisme qui soit tant il est sombre (les personnages se complaisent dans la brutalité, l’humanité vouée à être éradiquée par les démons, les humains voyant des démons partout et s’entretuant) et ultra violent (décapitations, déchiquètements, énucléations, arrachages de cœur, démembrements…et tout le monde y passe : hommes, femmes, animaux et même enfants !!) ; autant le film semble nonchalant, la lumière est souvent claire, les agressions des démons sur les humains sont souvent hors champs, la violence est assez aseptisée…merde, on a jamais l’impression d’assister à l’avènement de l’Apocalypse !!! Où est la tension si angoissante et grandissante de chapitres en chapitres qu’on ressentait en lisant chaque nouveau tome ??!! Il est tout bonnement impensable que ce qui faisait l’essence même de l’œuvre originale ne soit pas présent dans son adaptation !! C’est le monde à l’envers !!!! Pourtant, tout n’est pas mauvais dans le film : on retrouve la relation fusionnelle entre Akira et Ryô (avec le second qui vient toujours au secours du premier), le côté malsain et inquiétant de Ryô, Devilman en CGI est plutôt bien fait (tout comme les formes originales de Sélène et de Satan), le tout premier combat de Devilman la première fois qu’il se transforme nous laissait présumer du meilleur (Devilman est bien fait, mais aussi l’insert façon manga lorsqu’il attaque son ennemi ainsi que la mort de ce dernier dans un flot de sang !) et surtout le combat final entre Devilman et Satan qui est très bien fait (mélange subtil de synthèse et d’effets physiques). Par contre, il y a pas mal de choses qui sont plus que dommageables : Akira ressemble à un chanteur de boys band, Miki est bien loin de la fille forte et grande gueule du manga (et en plus, Ayana Sakai n’a vraiment aucun charisme), la version « hybride » de Akira/Devilman est très mal faite avec ses fausses cicatrices et excroissances en plastique (alors que Devilman est super en CGI !!), à part Akira et Miko aucun autre homme-démon n’apparaît à l’écran, la façon ridicule dont Akira se fait posséder par Amon, la scène où Akira découvre ce que les milices anti-démons ont fait à Miki et sa famille est totalement insipide émotionnellement parlant (la « découverte » de Miki n’est pas horrible, Akira n’a pas l’air d’être touché alors que dans le manga, il pète littéralement un plomb en voyant que les humains sont pires que les démons !), la scène finale entre les deux principaux protagonistes qui n’explique rien (le manga nous apprend que Amon et Satan furent amants par le passé, ce qui explique pourquoi Satan rechigne tant à combattre son aimé et pourquoi Ryô passe son temps à protéger Akira)…non vraiment, les rares bonnes choses sont submergées par les mauvaises. D’habitude, je soutiens souvent les adaptations contre les fans car il est difficile de refaire à l’écran l’œuvre originale à 100% ; mais avec "Devilman", force est de constater que ce qu’il le plombe c’est justement qu’il s’écarte trop de son modèle. En toute sincérité, en faisant un film de 2h30 (ou même deux films !) en reprenant l’ambiance et la violence extrême du manga et surtout en incluant certains passages du manga intéressants (l’explication de la présence des démons, les « prémonitions » de Ryô, le côté schizophrène d’Akira qui devient ultra violent quand il se transforme en Devilman, la recherche d’Akira d’autres devilmen pour monter une armée afin de combattre celle des démons, le plan des démons pour pousser les humains à s’entretuer…avec la « disparition » de Moscou et surtout la fin explicative), je crois qu’on aurait eu une vraie adaptation digne de ce nom !! Malheureusement, à vouloir transformer le manga d’origine en vulgaire blockbuster de super héros pour les gamins, "Devilman" trahit totalement son modèle et se plante royalement : il ne nous reste plus qu’à pleurer un bon coup et à l’oublier très vite (ça, ça sera facile)…pour vite se rejeter sur le manga pour s’en délecter une nouvelle fois.