Ayant lu récemment le roman de Bernhardt Schlink, c'est avec un mélange d'impatience et d'inquiétude que j'attendais la sortie de ce -seulement- troisième long métrage de Stephen Daldry, après les très réussis "Billy Elliot" et "The Hours". Impatience, parce que j'avais beaucoup apprécié le livre, et que visiblement, une nouvelle fois, le réalisateur anglais a offert un rôle en or à une grande actrice, puisque après Nicole Kidman, c'est Kate Winslett qui a eu le droit à l'Oscar de la meilleure actrice (j'en reparlerai).
Inquiétude, car le sujet du roman pouvait à tout moment faire basculer le film dans le mélo sur le triple thème de l'initiation amoureuse, de l'illetrisme et de l'holocauste. La qualité du livre reposait notamment sur le point de vue du narrateur, le jeune Michael devenu un homme mûr marqué par un sentiment de culpabilité, et il est toujours difficile au cinéma de transcrire l'approche intime du personnage.
Très vite, cette inquiétude a été levée, car l'adaptation de Stephen Daldry et de son scénariste David Hare, tout en restant très fidèle au roman, sait utiliser les moyens du cinéma pour raconter cette histoire avec pudeur : photographie impeccable privilégiant le contre-jour et le gros plan isolant le personnage (notamment dans les scènes du procès), montage parallèle (par exemple les images flash de sa première fois alternant avec le repas de famille), allers et retours entre présent et passé.
Une des réussites du film repose sur le choix du jeune David Kross pour jouer Michaël adolescent : il possède à la fois l'attitude gauche et maladroite de son personnage, et un sourire désarmant qui rend plausible l'attirance que ressent Hanna pour le lycéen. Il est plus convaincant que Ralph Fienes dans son deuxième rôle allemand après Amon Goeth, un peu trop mono-expressif dans le genre ténébreux (un écho de Voldemort ?).
Kate Winslett incarne Hanna Schmitz avec ce mélange de brutalité et de fragilité qui convient à son personnage ; personnellement, j'aurais préféré lui voir attribuer l'Oscar pour son rôle dans "Les Noces Rebelles". Mais il suffit de voir les dernières récipiendaires de la statuette dorée pour comprendre ce qu'apprécient les membres de l'Academy : Marion Cotillard dans "La Môme", Helen Mirren dans "The Queen", Reese Witherspoon dans "Walk The Line", Hillary Swank dans "Million Dollar Baby" ou Charlize Theron dans "Monster", c'est plus la "performance" qui est récompensée que l'intériorité du jeu.
Seule reproche à faire, la musique envahissante d'Alberto Iglesias et Nico Mulhy, qui souligne pesamment à coup de violons les moments où nous sommes priés d'être émus. Dommage, car nul besoin d'orchestre de cordes pour susciter l'émotion. Ainsi la scène de la visite de Michaël à Mme Mather, très fidèle au livre, est montée sans musique, et pourtant l'intensité est là, grâce à des silences et des plans de plus en plus rapprochés.
Par la perfection de la réalisation, la précision de la reconstitution (je suppose que ce n'est pas un hasard si la vitre d'entrée de l'appartement de Frau Schmitz est constellée de petites étoiles de David...) et la retenue du jeu des acteurs, les spectateurs restent à l'extérieur du mystère que représente Hanna, dans la même incompréhension que le héros. Il faut peut-être regretter que l'issue finale soit plus expliquée que dans le livre, notamment par le reproche que fait Michael et qui ne se trouve pas dans le roman : "Tu n'as donc rien appris".
Exception faite de ces quelques réticences, "The Reader" est donc un exemple d'adaptation réussite, grâce au respect des éléments principaux de l'intrigue, et à une maîtrise de l'écriture cinématographique pour en faire aussi une oeuvre propre au réalisateur, finalement pas si éloignée du mystère des personnages de "The Hours".
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