Derrière l’aspect carton pâte du générique, «Tokyo !» (Japon, 2008) de Michel Gondry, Leos Carax et Bong Joon-ho éveille trois univers réunis sous la tutelle de l’artifice, répondant à l’idée d’un réel factice, fait de bouts de fantasmes et de fragments d’imaginaire. La pratique du film collectif se hasarde à la laideur de l’hétérogénéité ou atteint à la félicité de la complémentarité. «Tokyo !» n’est ni l’un ni l’autre. Chacun des trois courts-métrages correspond à un film en-soi et dialogue très peu avec les deux autres. Gondry est enchanteur, voire kitanoïque (cette femme-chaise rappelle le couple-poisson à la fin de «Ano natsu, ichiban shizukana umi»), Carax est acerbe voire farouchement amère, Bong est flegmatique et cultive une ambiance plus qu’une situation ou un sentiment. La singularité de chacun des trois films donne à apprécier, au bon goût de chacun, l’œuvre favorite dans ce melting-pot cinématographique. Le plus étonnant, en effet, demeure que si Gondry, Carax et Bong sont trois cinéastes du délire et de l’Image, ils n’apposent pas sur le monde un même ordre de regard. Fils du clip et chantre de l’astuce, Gondry fouille les trucages et se destine à la petite poésie, l’anicroche visuelle. Artiste indépendant, Carax, nourri de tant d’années d’absences, revient en trombe, projetant le grand, par son génie, Denis Lavant dans un corps et une attitude traumatique. Bong poursuit sa révolution post-moderniste et mêle comédie romantique avec thriller. Trois ordres de cinéma, trois approches de l’Image, trois envergures de la réalisation. Le risque des films collectifs est là, de se positionner en constat du cinéma tout en ne demeurant qu’un point de vue commun. Et tandis qu’on peut penser à ce que Fincher, Tarantino, Kitano, Von Trier, Ang Lee et d’autres cinéastes de l’Image auraient pu faire sur le thème de Tokyo, il ne reste qu’à apprécier ce choix dont la brève richesse est à elle seule agréable.