La peintre Séraphine de Senlis ; l’actrice Yolande Moreau ; le réalisateur Martin Provost…
Trois talents magnifiques qu’illustre le FILM RÉUSSI ET QUESTIONNANT « Séraphine » qui plonge dans l’abîme de la création artistique…
De Séraphine Louis, ou « Séraphine de Senlis » (son nom d’artiste) je ne savais rien…
Cette splendide biographie filmée (je préfère ce terme à « biopic » anglicisme abusif qui nous soumet à la grosse artillerie américaine) serre le destin de ce peintre tout aussi tragique que le fut celui de Camille Claudel...
Bergère d’abord (ce n’est pas dit dans le film) Séraphine jaillit (peut on dire autrement tant son talent est spontané !) de la plèbe provinciale…
Pauvresse amoureuse des arbres, des lumières de la nature et de la vierge Marie !
On découvre son parcours difficil...e, la solitude née de l’incompréhension et les humiliations de l’employée de maison…
D’où naît ce désir intarissable de peindre ? D’où jaillissent ces foisonnements végétaux ? D’abord joyeusement exubérants et qui deviennent de sourdes reptations, des regards inquiétants au fil de sa vie…
Le film nous montre la fièvre créatrice de l’artiste et nombre de ses œuvres trop tard reconnues…
Naïve, primitive moderne… Qu’importe ces qualificatifs !
Elle créa à la barbe et au nez de tous les embonpoints bourgeois satisfaits d’eux même !
Avalée par la solitude, la trop grande attente, le manque puis le trop d’argent, le système…
Une suicidée de la société ! Comme Van Gogh dans le beau texte d’Artaud…
Yolande Moreau est Séraphine. Son œil perce, transperce matois et tendre ! Elle campe avec une simplicité déconcertante cette âme simple… Les mots sont peu nombreux qui sortent de ses lèvres… Mais combien riches de sens…
Sa silhouette pataude allant au lavoir fait un peu penser à Bécassine… En pensant à Bécassine on pense à toutes ces femmes de notre lourd passé, de notre pesant présent harassées et silencieuses… Serviables à merci et dont l’histoire ne parle pas ! Yolande est Séraphine, c’est tout. Et le jeu sobre, humain, vrai, donne la dimension de cette artiste exceptionnelle.
On reproche à Martin Provost une façon classique de filmer…
Quel reproche vraiment !
Voici un réalisateur qui ose de longs plans fixes lointains, qui filme avec talent les jeux d’ombre et de lumière de la belle nature ! Qui montre l’or des blés alignés au front de la sombre forêt… Il a le goût des transitions en plan fondus… De fonds sonores très discrets.
Cela sert le sujet, l’épure.
Il est à l’opposé de l’inutile fouraille des biopics modernes.
Les plans rapprochés sont rares, très beaux, bien venus et surtout ne fatiguent pas les yeux du spectateur !
Il suggère, fait vibrer l’image d’émotion, la moire de tendresse.
Les cadrages sont parfaits, la photographie magnifique.
Et le scénario, procédant par petites touches successives, est linéaire ! Oui linéaire !
Incroyable ! Un réalisateur qui ose une œuvre sans aller et retour temporel !!!
Ça y est je dépasse encore les limites que je m’étais fixées !
Un dernier mot cependant pour souligner le jeu magnifique d’Ulrich Tukur qui campe magistralement le grand découvreur, collectionneur de peinture qu’était Wilhelm Uhde !
Voici le nœud du film, la relation de ce grand connaisseur de la peinture et de cette pauvresse artiste géniale sans en avoir conscience…
La facette la plus passionnante de la trame scénaristique !
ENCORE UN CHEF D’ŒUVRE !