Grand film. Coppola prolonge l'étude de ses éternelles obsessions dans une oeuvre aussi sublime qu'intelligente, dresse un portrait peu glorieux de la famille, se remet en question en permanence comme pour remettre à leur place ceux qui lui reprochent sa mégalomanie. Tetro est un film formidable sur les apparences, le mensonge, et la nature terriblement complexe de l'être humain. Et bien évidemment, sur la famille.
Tuer le père. Et la mère. Et tous les autres.
Le film s'ouvre sur l'arrivée du personnage de Benjamin à Buenos Aires, il porte un uniforme militaire. Le spectateur pense alors logiquement que le jeune homme est dans l'armée. Mais non, il est serveur sur un bateau. Déjà, le film nous dit de ne pas croire tout ce qu'on voit, de ne pas nous reposer sur certains acquis. Cependant, tout cela va encore plus loin quand nous apprenons que Benjamin s'est enfui d'une école...militaire. Acte entrepris par signe de rébellion envers son père. A la fin du film, et dans une même logique, nous apprenons que le lieu même où s'est exilé Tetro, Buenos Aires, ce lieu qu'il a rejoint pour oublier un passé familial trop lourd à supporter, est le lieu de naissance de son père. Ce que dit le film, c'est qu'on ne peut pas échapper à son passé. Pire, la famille, aussi délétère soit-elle, est essentielle à la composition identitaire de l'individu. Ce que fuit le personnage de Tetro, c'est finalement plus lui-même que sa famille. La seule raison pour laquelle il la délaisse est qu'il se rend compte qu'il ne peut que lui faire du mal
( la mort de sa mère, la vérité sur son fils ).
La construction narrative et formelle du film est un modèle d'intelligence. Aux scènes de présent en noir et blanc répondent des flash-backs que Francis Ford Coppola choisit d'illustrer en couleur. Le réalisateur américain établit ainsi un parallèle subtil entre diverses époques. Au cinéma, en temps normal, il se passe l'inverse : c'est le noir et blanc qui figure le passé, et la couleur qui représente le présent. Mais le choix de bouleverser ce code est un discours intéressant sur la psychologie des personnages. Celui de Tetro est hanté pendant tout le film par la mort de sa mère dans un accident de voiture. En représentant la séquence de l'accident en couleur, Coppola ne fait rien d'autre qu'illustrer le trouble de Tetro, et l'auteur américain dit que le temps n'a aucune importance puisque les souvenirs ont toujours autant d'impact sur le moment présent.
Tetro est une oeuvre à la beauté pure, enveloppée d'un noir et blanc qui atteint au sublime. Dès les premières images le spectateur est happé, hypnotisé par la plastique du film. Coppola organise un film qui étonne sans cesse de par la composition parfaite de ses cadres, de par ses partis pris audacieux et juste surprenants. Cela est d'autant plus réjouissant de la part d'un tel auteur, parce qu'il parvient à se renouveler malgré ses 40 ans de carrière. Coppola n'a plus rien à prouver depuis bien longtemps, mais il signe avec Tetro une oeuvre pleine de liberté, comme s'il s'agissait là de son premier film.