Un film charnière dans l'histoire du cinéma français et qui mélange les genres cinématographiques. De Broca débute en même temps que la nouvelle vague, et même si on ne l'y associe pas directement, il y a tout de même un certain nombre de lien, comme le fait de tourner en décor réel. Cartouche fait la part belle à ceux qui ont écrit l'histoire du cinéma français. A la photographie on retrouve Matras qui accompagna Ophuls pour ses quatre chefs d’œuvre à son retour en France, au scénario Boulanger et De Broca reçoivent l'aide de Spaak scénariste de la Grande Illusion, et au casting on retrouve Dalio habitué des Renoir, et Roquevert habitué des Clouzot et dans un rôle qui ressemble beaucoup à celui qu'il tenait dans Fanfan La Tulipe, le film de cape et d'épées français le plus populaire des années cinquante. Parallèlement, on découvre la nouvelle génération et sa star Belmondo, qui s'est révélé avec la nouvelle vague dans A bout de souffle. Il y a aussi Jean Rochefort, qui noue sur le tournage une passion pour l'équitation.
A l'écriture, une fois encore on retrouve un réalisateur et un écrivain. De Broca et Boulanger forment durant les années soixante un de ces duos qui ont façonné le cinéma français et en ont fait un cinéma de dialoguiste: Carné et Prévert, Lautner et Audiard, Pagnol et Pagnol. Boulanger sait trouver les mots justes pour permettre à De Broca de varier à l'envie les tons et les styles pendant le film.
Ainsi ce qui frappe en premier avec Cartouche, c'est l'absence de style dominant. A la guerre, on a le droit à de la comédie parodique: tout est exagéré, le maréchal est joué de façon totalement caricatural, et le seul objectif est de faire rire et de donner de la guerre l'image d'une vaste bouffonnerie meurtrière. Une satire violente et hilarante. Avant cela on a eu le droit à une scène de torture et la description des quartiers pauvres de Paris. Et après on a le droit à une grande scène d'action dans une auberge, pleine d'humour et de panache, qui est l'un des seuls moments où le film semble vraiment revendiquer son appartenance au genre de la comédie d'aventure et du film de cape et d'épée, façon Fanfan la tulipe ou comme les films de Jean Marais (le Bossu, le Capitan).
Puis c'est la prise de pouvoir de Cartouche à Paris à nouveau pleine de panache. L'action, l'aventure, un rythme effréné, l'humour: tels ont été les mots d'ordre des trois premiers quart d'heure du film. Il est temps pour De Broca de venir faire ce qu'il sait faire le mieux, ajouter la mélancolie. Celle-ci apparait alors que la bande de voleurs triomphe. Cartouche s'ennuie. On a d'abord Jean Rochefort qui joue du piano parce que ça sert "à aimer", transition poétique vers une première scène où apparait la mélancolie. Claudia Cardinale sort d'un miroir, image visuellement très forte et qui montre bien l'immobilité à laquelle ne peut qu'aboutir la recherche du bonheur quand elle est couronnée de succès. Cet idée que le bonheur est insupportable est une idée essentielle de l’œuvre de De Broca, pour qui l'homme fuit toujours ce qu'il a obtenu. Satisfaire un désir, c'est en faire naitre un autre. L'inaction bienheureuse, c'est à la fois ce que recherchent et ce qui effraye les protagonistes de De Broca. Et il y a cette phrase que Boulanger offre à Cardinale et qui résume toute la pensée des auteurs du film et de leur films suivants (l'homme de Rio, les tribulations...): "Amuse toi, ça empêche de mourir".
S'ouvre alors une deuxième moitié qui va lentement accompagner les personnages hors du paradis qu'ils avaient trouvé. Le besoin d'avoir ce qu'on n'a pas, le hasard comme le dit Dalio, tout mène vers le drame. Et pourtant le souvenir de la première moitié continue de faire croire au spectateur qu'il est dans un film comique et qu'à la fin, ça finira forcément bien, fusse miraculeux ou incohérent. Et puis c'est la scène finale, et là encore, quand on voit Belmondo renverser tout seul dix soldats d'un coup d'épaule, on croit encore être devant une comédie, mélanclique certes, mais qui va quand même nous honorer d'un happy end. Et puis non. Pas de happy end. Soudain ces personnages de comédie d'aventure deviennent des personnages de tragédie, condamnés à vivre leur destin jusqu'au bout, jusqu'à la mort. La scène finale est peut-être la plus brillante de De Broca, la luminosité, le décors et surtout la musique de Delerue sont parfaits. Et puis il y a cette main de Belmondo qui veut caresser mais qui ne peut plus, ce poing qui se referme et ce personnage qui comprend qu'il a échoué. Sa folle course s'achève sur un échec. Pouvait-elle s'achever autrement? Plusieurs dialogues laissent à penser à l'importance du hasard, mais en réalité les dés sont pipés. Évidemment Cartouche aurait pu faire d'autre choix et à le voir fouetter les chevaux du carrosse, on comprend que c'est d'abord contre lui que se tourne sa rage. Il faut voir aussi Belmondo abandonner Cardinale et celle-ci rester seul dans la cave.
Enchaînant les grands morceaux de bravoure et les scènes mélancoliques, avec un vrai propos, une musique qui multiplie les thèmes magiques, des dialogues qui visent toujours juste que ce soit la poésie, l'humour, la critique, la réflexion, un très bon casting...
Cartouche est de ces chefs d’œuvre qui surprennent car tout laissait à penser que le film ne serait qu'un film de plus, mais par son refus de s'enfermer dans un genre, par sa fin, par sa capacité à très bien faire tout ce qu'il veut faire, Cartouche devient lentement un grand film. Là où les films hollywoodiens servent surtout à divertir, De Broca ne perd jamais de vue son propos, et délivre des dialogues d'autant plus intelligents.