"Ruby Gentry" (j'ai pas envie d'utiliser le titre français que je trouve peu en rapport avec l'histoire !!!) est certainement le "Duel au soleil" qu'aurait réalisé King Vidor sans la tyrannique de David O. Selznick. En tous les cas, les deux films ont trop de points communs pour qu'on ne les compare pas. "Ruby Gentry" est beaucoup plus court, on est débarrassé des lourdeurs et autres scories qui polluaient le western de 1946, mais on reprend le baroque très caractéristique du réalisateur du "Rebelle" ainsi que la même Jennifer Jones dans le rôle principal. Avec cela, il n'est pas difficile de préférer "Ruby Gentry" à "Duel au soleil" et on peut légitimement se demander pourquoi le premier est beaucoup plus méconnu que le second. Certes le film est loin d'être sans défaut. La fin est un peu précipitée, Charlton Heston, dans un de ses premiers rôles, montrera qu'il sera bien meilleur dans les rôles monolithiques de personnages historiques ou bibliques que dans le registre de la sensualité (un Paul Newman ou un Marlon Brando auraient beaucoup mieux assuré !!!), le personnage du frère puritain donc frustré sexuellement est très caricatural, et la voix-off du personnage du médecin ne sert à rien. Mais heureusement les qualités pèsent plus lourd dans la balance. Jennifer Jones, en sauvageonne qui devient une femme d'affaires sans scrupule, brillent par sa beauté, sa sensualité et son énergie. Karl Malden, dans le registre, où il a été souvent employé mais il faut bien dire qu'il y était excellent, en "nice guy" qui se laisse parfois emporter est émouvant. Le baroque du cinéaste lui fait souvent des merveilles ; la promenade en voiture au bord de la mer, la scène dans le voilier, la protagoniste, dans son auto cachée derrière ses lunettes de soleil, faisant exécuter implacablement le coup de grâce qui va ruiner définitivement son amant, ou encore la pénultième séquence dans un marais de studio en sont de très belles preuves. De très belles preuves qui sont autant de très bonnes raisons de visionner ce film injustement méconnu de King Vidor.
Six ans après ‘’Duel au soleil”” Vidor reprend un sujet voisin mais en noir et blanc cette fois, ce qui permet de constater tout ce que la couleur apporte lorsqu’elle est utilisée intelligemment. Bien que le comportement des personnages soit très excessif, il est necessaire d’être persuadé du coté profondément exact du rejet absolu par la société en place de Ruby en tant que de ‘’mauvaise naissance’’. Sans cette certitude mieux vaut ne pas regarder ce film de 1952 avec des yeux de 2013. Le couple Ruby/Boake est plastiquement parfait et c’est lui qui donne toute sa force à ce drame. Si Boake demeure mystérieux ,Ruby a droit a une analyse psychologique approfondie pour nous convaincre de son honnête, l’accident du bateau étant sans équivoques pour les spectateurs. Jennifer Jones, une fois de plus est remarquable et ne pas la connaitre est un trou dans la culture cinématographique tant elle est unique par son éclectisme. Plus le film avance, plus il prend de la hauteur pour finir en apothéose dans les marais récemment reformés en compagnie des amants intemporels dépassés par leurs désirs. La fin est visuellement merveilleuse et inoubliable.
Un film assez classique par son scénario (amour - mariage - jalousie) et au début au moins par une réalisation non exceptionnelle avec beaucoup de studio, mais aussi avec de belles séquences (voiture dans l'eau, le voilier, les marécages). Film sentimental donc, qui pose le problème de l'opinion publique contre les vrais sentiments des gens. Seulement voilà, la nommée Ruby Gentry est assez perverse pour faire le contraire de ce qu'elle voudrait. Tout cela finira donc en drame, du moins pour ceux qui l'ont aimé : son mari et son amant. Elle, elle restera riche...