Lorsque le générique de fin de "Taken" apparait une question demeure : « On se fout de notre gueule à ce point-là ? ». Je veux bien admettre beaucoup de choses, mais il y a des limites. Je peux accepter la diversité des goûts et des couleurs, je peux essayer d’envisager de comprendre (!) ceux pour qui le cinéma se résume à des coups de balayettes et à des tatanes, je peux aussi comprendre que 2 fois sur l’an le film du dimanche soir de TF1 fasse du bien là où il passe (et encore, c’est comme une blague d’Arthur, la première fois c’est supportable – pour les plus aguerris – les treize suivantes, beaucoup moins), mais qu’on vienne nous faire croire qu’un film comme "Taken" peut avoir quelque chose d’honnête à dire : je m’y oppose !
Même en essayant très fort, avec beaucoup de bonne volonté, d’oublier la panoplie d’incohérences scénaristiques, le désert d’inspiration dans les dialogues, l’enfilage outrancier des pires poncifs que recèle le genre du film d’action, les personnages sans saveur ni crédibilité et les effets visuels tout pourris déployés pour faire oublier le manque d’inspiration, de rythme et de talent, on ne peut pas fermer les yeux sur la mélasse idéologique sous-jacente au film. Si "Taken" avait joué la carte du second degré et de l’humour (comme ce fut le cas dans les films d’action des années 90 avec la saga des Die Hard, par exemple), il n’aurait été qu’un film de mecs pour mecs, sans grand intérêt cinématographique. Mais fort de son besoin de « dire des choses », « de dénoncer la vilaine société faite de violence et de corruption », Pierre Morel nous inflige son idéologie bien scabreuse et fait de "Taken" un film qui irrite. Son héros, américain de base, ex-agent de la CIA, dézingue tout Paris (grosso modo) pour retrouver sa fille kidnappée par des trafiquants – albanais – d’êtres humains. Tout y passe, de la prostitution au laïus nauséabond sur le système qui encourage ces « crapules » venues de l’Est ; du gouvernement véreux au droit de torturer et de tuer des centaines de personnes (dont des civils innocents) pour sauver sa fille. Eh oui, parce que la vie de la fille de notre bon héros américain a plus de valeur que celle des mères de famille et que celle de centaines de jeunes filles vendues au marché noir. De cela le bon Morel et la clique à Besson (qui produit cette merveille cinématographique) s’en tamponnent le coquillage comme de leur premier apéro « Wasabi » avec ce cher Jean Reno. Tout le propos est impudent et ça ne semble gêner personne. Alors, certes, le film révolte, pas parce qu’il est prenant ou interpellant, grand Dieu non, mais bien parce qu’il est criminel de se foutre ouvertement de la tronche du spectateur en essayant de lui refourguer une fiente pareille. Rien n’est cohérent, tout par à vau l’eau et on ne s’étonne pas de retrouver la finesse de Besson derrière tout ça. Vous savez, il est un peu au cinéma ce que Jean-Marie Bigard est à l’humour, à savoir un gros veau dans un magasin de porcelaine alors il suffit de regarder la manière dont il traite le thème du marché du sexe, du trafic de femmes pour réaliser l’étendue de sa subtilité. De scène en scène, le film s’enfonce dans un parti pris qui se veut sérieux et qui ne fait que renforcer le malaise. Pas une once de recul, mais une bonne dose de morale amerloque à trois dollars cinquante (à croire qu’ils n’ont que ça et la graisse de fast-food à refourguer à l’infini) instituée par un mec qui bafouille 99% des traités de la Convention de Genève en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Pire, aucune humanité ne transparaît de "Taken", pas même la relation père-fille qui semble devoir justifier le carnage accompli par le protagoniste. Nous voilà donc aidés.
Je n’évoquerai pas les prestations des « acteurs » et des « actrices » tant ça serait facile et méchant. Idem pour la séquence finale qui laisse sans voix. Ça laisse con une fin aussi bateau et on s’étonne encore de voir ça en 2012. Et quand on sait que le second volet a explosé au box-office à tel point qu’un troisième opus (obus ?) verra le jour, la consternation ne peut être qu’amplifiée. On trépigne déjà à l’idée de voir le brave Bryan (comment ça c’est cliché comme prénom ?!) se battre, dans "Taken 3", pour retrouver le chihuahua de la chanteuse qu’il sauve dans le "Taken 1". On notera quand même, histoire d’être bon joueur, que Liam Nesson (Qu’est-ce qu’il est venu s’empêtrer dans un boxon pareil ?) sauve le film de la catastrophe grâce à sa bonhomie et à ses grands yeux bleus. Mais, c’est malheureusement insuffisant. Bien trop insuffisant pour que le film soit décent. En résumé, "Taken" est la preuve, s’il en fallait encore une, qu’il vaut mieux se taire plutôt que de mal parler.
A fuir, mais alors très vite et très loin.