A la fin de "Kingdom of Heaven", Balian redevenu forgeron en France croise la troupe de Richard Coeur de Lion qui part pour la Terre Sainte. C'est par la description de cette même armée revenue des croisades dix ans après que commence "Robin des Bois", et cette décennie de combats en Palestine a visiblement laissé des traces, puisque le Roi d'Angleterre semble plus préoccupé de restaurer son autorité féodale de duc d'Aquitaine et de Normandie que de sauver son âme, et le souvenir du massacre de Saint-Jean d'Acre constitue le sujet principal de la seule discussion entre le Roi et son archer.
Ridley Scott avait beaucoup aimé tourner "Kingdom of Heaven", et en pleine intervention américaine en Irak, ce film qui montrait les colombes chrétiennes et musulmanes poussées à la guerre par les faucons des deux camps est certainement un des meilleurs films du prolifique réalisateur britannique depuis des années. Dans ce "Robin des Bois", les beaux idéaux chevaleresques des croisés ont bien disparu, et si Robin comme Balian est un plébéien qui devient chevalier, il s'agit du résultat d'une usurpation et non d'un adoubement.
On pense aussi à "Gladiator", par la présence d'un Russel Crowe empâté et assez fadasse, mais aussi par certaines scènes d'embuscades dans des forêts bleutées ou de tranquillité buccolique ravagée par la cupidité des puissants. Robin est plus proche de Maximus que de Balian, plus jouet du destin que mû par des convictions profondes. Encore qu'il soit difficile de dresser un portrait précis du Robin de Ridley, vu que les nombreuses réécritures du scénario amènent à un fréquent dédoublement de la personnalité du héros : normal, cohabitent en lui à la fois l'archer de Sherwood et le shériff de Nottingham.
Ridley Scott a semble-t-il déclaré qu'il n'avait aimé aucune des adaptations précédentes des aventures de Robin, excepté celle de Mel Brooks... Dont acte. Mais son interprétation ne se dsitingue guère des autres, particulièrement par le manichéisme hollywoodien qui plaque une nouvelle fois les idées reçues du XXI° siècle sur une époque passée, l'Empire romain dans "Gladiator", la dynastie des Plantagenêt ici. Robin se voit dont investi de la mission inconsciemment héréditaire de faire passer l'Angleterre de la tyrannie à la monarchie constitutionnelle, et tant pis si 15 ans de règne de Jean sans Terre sont compressés en quelques mois, la mort de Richard datant de 1199 et l'épisode de la Magna Carta de 1215.
Cette entorse (plutôt une fracture ouverte) à la vérité historique n'est pas la seule ; le film donne l'impression d'un conflit franco-anglais, comme une simple anticipation de Napoléon, oubliant toute la dimension féodale de la rivalité entre Philippe-Auguste et les Plantagenêt. Les Français y sont donc fourbes à souhait, et du coup l'union nationale se fait contre l'envahisseur gaulois, alors qu'en réalité, si le futur Louis VIII débarqua bien en Angleterre en 1216, ce fut à l'appel des Barons anglais et avec la bénediction des évêques. Il n'eut pas besoin d'inventer des barges de débarquement en bois, modèle Omaha Beach, et il ne fut pas repoussé, puisqu'il alla jusqu'à Londres.
Bon, me direz-vous, on ne va pas au cinéma pour découvrir les théories de Duby et Le Goff. Que dire donc de ce "Robin des Bois" comme film ? Que malgré des batailles captées avec l'indéniable savoir-faire de Ridley Scott et quelques belles scènes comme celle de la rencontre avec sir Walter Loxley joué par l'increvable Max Von Sidow, il souffre de sa longueur inutile, d'une interprétation sans relief et d'une musique envahissante, Marc Streitenfeld succédant à Hans Zimmer dans le registre pompier. Film de producteur dans son projet même, "Robin des Bois" n'est sauvé ni par son scénario bricolé ni par une réalisation sans surprise.
Critiques Clunysiennes
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