A la vision de la bande-annonce, je m'étais dit que cette idée du vagin denté présentait une originalité intéressante pour un film d'horreur, un peu comme celle de Larry Cohen pour "Le Monstre est vivant". J'ai donc anticipé sur ce à quoi Dawn procède dans le film, à savoir une recherche sur Google. Et là, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que vagina dentata appelait 109 000 pages sur internet, et l'article "The Vagina Dentata and the Immaculatus Uterus Divini Fontis" de J. Raitt dans le Journal of the American Academy of Religion (1980), explique même que "la vagina dentata, expression de la peur du mâle en face de la femme castratrice, est à l'origine de la neutralisation de la femme dans une église à dominante masculine".
La question qui se pose face à ce genre de film basé sur une idée, c'est de savoir s'il y a de la matière à remplir 90 minutes. La réponse est incontestablement positive, même si cette nécessité de broder un scénario qui s'adapte à ce postulat de départ amène à des résultats plus ou moins heureux ; je pense notamment au personnage de Brad, dont on comprend bien que sa première approche de la sexualité l'ait conduit à ce besoin de violence, mais ce contrepoint à son oie blanche de demi-soeur est quand même un peu too much.
Le film donc commence par un traveling latéral sur le sommet des arbres d'une petite bourgade, avant de découvrir les deux cheminées d'une centrale nucléaire, puis de plonger sur le jardin où un jeune garçon et une fillette se baignent dans une piscine gonflable. Le garçon s'adresse à sa demi-soeur, et l'oeil lubrique, lui demande "Fais voir la tienne". S'élève alors un hurlement, les parents accourent, et tout en refusant de dire ce qui vient de lui arriver, Brad montre l'extrêmité sectionnée de son doigt.
Le générique défile ensuite, avec en toile de fond la vision au microscope de protozoaires qui s'entredéchirent. Puis on voit la fillette devenue grande prêcher la chasteté devant un public de préadolescents enthousiastes, arborant tous un anneau rouge à l'annulaire, symbole de cette promesse, et qui ne sera échangé contre un anneau d'or que par celle qui deviendra la mère de leurs enfants.
Ces clubs de chasteté existent bien dans de nombreux collèges ; Mitchell Lichtenstein rappelle que le gouvernement américain dépense chaque année une somme estimée à 100 millions de dollars pour promouvoir l'abstinence, conséquence de l'Adolescence Family Life Act adopté au début de l'ère Reagan. De même, la pastille qui cache la planche anatomique montrant l'appareil génital féminin est issue de la lecture d'un article concernant l'école de Lynchburg en Virginie où le conseil d'administration avait censuré les illustrations des livres de biologie.
L'intérêt du parti-pris du réalisateur réside dans le choix de n'adopter quasi exclusivement que le point de vue de Dawn, qui découvre avec horreur sa particularité anatomique, avant d'en percevoir les utilisations possibles. Alors qu'elle sème derrière elle cadavres et mutilations, on ne voit presque jamais la police, si ce n'est à travers sa peur, et encore ce ne sont que des fausses pistes. A la naïveté initiale de Dawn s'oppose la duplicité des mâles : violence de Brad, hypocrisie de Tobey ("Je suis vierge à Ses Yeux"), manigances de Godfrey. Dawn est une sorte de Carrie White qui hérite sans le vouloir d'un pouvoir destructeur ; mais à la différence de l'héroïne de Stephen King et de Brian De Palma, dont elle partage la même blondeur ingénue, et malgré les effets tranchants de son pouvoir, elle reste épargnée par l'hémoglobine, comme le souligne Mitchell Lichtenstein : "J'ai délibérément tenu Dawn à l'écart de tout élément sanguin. Elle reste pure, jamais réellement violentée ou déshonorée par ses assaillants."
Si l'évocation de la sexualité est forcément explicite (ils ne pensent qu'à ça et ils ne parlent que de ça, même si c'est pour s'en préserver), elle est renforcée par le recours à de nombreuses allégories : un tronc d'arbre en forme de vulve, des concrétions phalliques, une grotte humide, la gueule du chien, celle de la créature du film qui passe à la télé, "Le Scorpion Noir", d'Edward Ludwig.
Sympathique réhabilitation des séries B aux accents par moment burtoniens, "Teeth" peut aussi se voir comme le récit du parcours initiatique d'une jeune fille qui passe d'une idéalisation mêlée de craintes aux relents chrétiens-conservateurs à une forme suprême et tranchante du contrôle de son corps. A une époque où la droite ultra-conservatrice met en cause le darwinisme, combat le droit à l'avortement et à la contraception, "Teeth" s'avère être peut-être plus qu'un simple divertissement gentiment déjanté.
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