En dépit d’une interprétation remarquable de Natalie Portman (elle a d’ailleurs été oscarisée pour ce rôle), ce film ne plaira pas à tout le monde. Bon, il faut dire que le cinéma de Darren Aronofsky est particulier. Mais il a le don de savoir plonger dans les profondeurs de l’esprit humain. Il l’a prouvé à travers le mythique et dérangeant "Requiem for a dream", et plus récemment avec "The Wrestler", film qui a marqué le retour de Mickey Rourke sur le devant de la scène. Dans un drame habilement mêlé au thriller psychologique, c’est la troisième fois que le cinéaste visite les souffrances du corps et de l’esprit. Plus dans la drogue encore que dans le catch, on peut comprendre cette visite. Mais dans le monde du ballet… il y avait de quoi rester perplexe, surtout si on considère que cet art n’est pas apprécié de tout le monde, en tout cas accessible. Et pourtant… le cinéaste et son scénariste principal Andres Heinz prouvent que quête de célébrité, hautes exigences, sacrifices et rivalités sont les éléments indispensables pour aspirer à l’excellence que cet art impose. Avant ça, la curiosité du spectateur est piquée au vif par le simple fait que la danse classique est un monde peu exploité par le 7ème art. Le ballet a beau être dépoussiéré d’un bon coup de balai, le sujet dépasse le monde très fermé du ballet car il aurait tout aussi bien pu être transposé dans n’importe quel univers qui demande les mêmes exigences, au risque de tomber plus ou moins dans le déjà-vu. Quoiqu’il en soit, les éléments que je viens de citer sont bien présents, auxquels on doit rajouter l’énorme pression qu’amène inévitablement l’excellence de la danse classique, tout simplement parce que le ballet ne doit pas souffrir de la moindre approximation, pour la bonne et simple raison qu’il est constamment sous les feux des projecteurs derrière lesquels les critiques les plus avertis décortiquent les artistes avec la plus grande attention. A travers "Black Swan", le spectateur se rendra compte que la pression s’exerce à plusieurs niveaux. D’abord de la part du chorégraphe (Vincent Cassel, superbe d’ambiguïté tant son personnage, dont la frontière entre perversité et moyen de faire éclater au grand jour la sensualité est bien mince, apparait tour à tour infâme et protecteur), et ensuite de la part de sa mère (Barbara Hershey, parfaite dans le rôle d’une femme animée par un esprit revanchard sur sa propre vie passée) qui bride et surprotège sa progéniture. Et puis fatalement par les rivalités, dans un premier temps auprès de Veronica (Ksenia Solo), dans un second auprès de la mystérieuse Lily (Mila Kunis). Ben oui, tout le monde veut réussir, et les places sont chères, surtout quand elles paraissent uniques ! Tout le monde sait qu’à partir du moment où on est animé par cette volonté farouche de réussir, les rivalités viennent alimenter cette pression. Au point qu’elle devient parfois difficile à porter, ce qui comporte un risque, et pas des moindres : celui de perdre la réalité des choses et de perdre les pédales. C’est justement cette pression qui va peu à peu envahir cette jeune danseuse pour ensuite l’habiter à temps plein et la faire basculer lentement mais sûrement dans une folie aux portes de la schizophrénie. Il en résulte un film à l’atmosphère oppressante, dans lequel Natalie Portman fait preuve d’une fragilité touchante pour servir à merveille son personnage dont la raison se perd dans les tourments de la peur de l’échec, comme si sa vie présente et future en dépendait. Si la performance de l’actrice est époustouflante, on le doit aussi aux prise de vues de Darren Aronofsky qui filme au plus près le corps de la danseuse, tout en plaçant aussi sa caméra au cœur de la scène pour mieux capter l’intensité du récit. Je pense notamment au plan qui m’a le plus marqué, celui en contre-plongée(absolument superbe sur Nina (Natalie Portman) avec en arrière-plan les spots d’éclairage, comme pour dire que la quête vers la lumière est ô combien difficile. Dans tous les cas, la performance de l’actrice est telle et la caméra placée de façon si intimiste que Nina emmène avec elle le spectateur dans cette descente aux enfers, ce qui peut s’avérer dérangeant pour celui-ci, tout du moins pas franchement appréciable. Et en lisant les divers avis, il semble que ce soit bien le cas. Quant à la qualité des danses, je ne porterai aucun jugement… parce que je n’y connais rien ! Tout comme l’opéra, le ballet n’est pas du tout mon trip, mais ça ne m’empêche pas d’avoir un avis très positif sur ce film tant il sait plonger profondément dans les entrailles de l’âme humaine. Dans tous les cas, la question est indirectement posée : est-ce que ça vaut le coup ? "Black Swan" serait-il moins innocent qu'une banale fiction ?