Après notamment les mathématiques, la drogue et le catch; c'est cette fois sur l'univers de la danse classique que se porte l'attention du réalisateur Darren Aronofsky. La sortie en France de son cinquième long-métrage, intitulé Black Swan, permet de s'interroger une nouvelle fois sur le statut d'Aronofsky au sein du paysage cinématographique actuel. Auteur à part entière? Valeur sûre et bankable (le film est un succès au box office américain)? Peut-on le considérer légitimement, comme le font les Cahiers du Cinéma dans leur numéro de février 2011, comme le "leader d'une nouvelle génération"?
Ce qui est clair, c'est que son Black Swan tient la route. Retraçant le chemin de croix d'une jeune danseuse soucieuse d'atteindre la perfection avec le rôle principal et tant convoité du Lac des Cygnes de Tchaikovsky, le film s'impose vite comme une fantasmagorie vertigineuse, effrayante de beauté, ponctuée par un final dément et tout simplement orgasmique. Au rythme d'un compte à rebours - la première du ballet arrivant à grands pas - le film nous emporte littéralement, et ne nous lâche plus jusqu'à la dernière seconde, où Lily, expirante mais altière, chuchote: "It was perfect", et qu'un tonnerre d'applaudissements se fait entendre.
En raison de cette majesté et de cette splendeur qui émanent de lui de façon globale, on pardonne à "Black Swan" bien des erreurs de goût: ses effets horrifiques cheap - "Whore" écrit en rouge sur le miroir de la salle de bain de l'école de danse, affrontement avec des bouts de verre qui vire au grotesque, et sa surenchère en artifices et en fioritures encombrantes, un défaut déjà caractérique de l'indigeste "The Fountain" (2006). Chaque effet est surligné au crayon gras, devient tape-à-l'oeil et ostentatoire: la thématique du double illustrée par la scène avec les miroirs, la dualité noir/blanc, et aussi le fait d'être trop conscient de ses atouts, une certaine auto-suffisance... Fidèle à sa réputation de réalisateur choc, Aronofsky nous rappelle aussi l'intérêt qu'il a pour la déformation et la déliquescence des corps. Rien ne nous est épargné ici: ongles arrachés, morceau de verre dans le vagin, coups de lime dans la tronche, cicatrices dans le dos, pieds palmés, et cetera.