S'il reste en retrait par rapport à des cinéastes comme Ozu, Mizogushi ou Naruse, Keisuke Kinoshita occupe néanmoins une place de choix dans le renouveau du cinéma japonais d'après-guerre qui s'interroge sur l'organisation de la société japonaise et par ricochet sur ses implications insidieuses dans la survenue du désastre d'Hiroshima. "Un amour éternel", mélodrame puissant, balaye justement l'ensemble de cette période dénonçant l’impitoyable hiérarchisation des rapports sociaux de types féodaux qui subsiste en 1932 quand Heibei (Tatsuya Nakadai), le fils d’un riche propriétaire terrien, revenu infirme de la guerre peut encore s’arroger de droit et par la force une jeune femme (Sadako interprétée par Hideko Takamine) amoureuse d’un fils de paysan (Takashi interprété par Keiji Sada), lui aussi parti à la guerre en Mandchourie. Keisuke Kinoshita structure son récit (il a écrit lui-même le scénario) autour de ce trio impossible
lié par un viol qui infectera à jamais la nature de leur relation. Sur trente ans, Kinoshita constate les ravages de cette faute initiale qui se rappelle lancinante à chaque épreuve que traverse le couple contraint formé par Heibei et Sadako et leurs enfants dont le fils aîné né de cet acte barbare
. Le mélodrame souvent poignant aux multiples rebondissements et montré dans toute sa cruauté est rythmé par la transformation de la société japonaise symbolisée par les objets ménagers qui meublent la demeure au fil des saisons qui passent. Par la force de son propos « Un amour éternel » se nourrit un peu aux sources d’ « Autant en emporte le vent » (Victor Fleming en 1939), la dimension épique en moins. Soucieux de tous les aspects de son film, allant jusqu’à emprunter au flamenco sa musique d’accompagnement, Kinoshita se montre un remarquable directeur d’acteurs, exploitant au mieux la tristesse infinie du visage expressif d’Hideko Takamine, l’actrice favorite de Mikio Naruse qu’il a déjà dirigée plusieurs fois et la rudesse virile de Tatsuya Nakadai, future grande vedette du film de samouraïs des deux décennies à venir qui trouvera son apogée dans le "Kagemusha" d'Akira Kurosawa en 1980..