"Planète Terreur" est donc après "Boulevard de la Mort" le deuxième volet du projet Grindhouse d'hommage aux séries B qui ont bercé la jeunesse cinéphilique de Tarantino et Rodriguez, et l'on y retrouve le même travail de vieillissement artificiel : pellicule scratchée et tressautante, zooms en pagaille et mise au point hasardeuse, couleurs criardes et gros grain. A la fin des années 60 et au début des années 70, le système d'exploitation Grindhouse présentait des doubles programmes entrecoupés de bandes-annonces ; initialement, les deux films de Tarantino et Rodriguez devaient être montrés l'un à la suite de l'autre, et "Planète Terreur" débute par la B-A de "Machete", peut-être le meilleur morceau du film, puisqu'en trois minutes, Rodriguez brosse l'histoire d'un ouvrier agricole mexicain transformé en un mélange de Lee Harvey Oswald et d'Emiliano Zapata, avec la voix off annonçant :"This Time... They Fucked With The Wrong Mexican !"
Le principal écueil de l'exercice de style est de se concentrer sur les éléments formels, de soigner décors, costumes, personnages, répliques, mouvements de caméra, et d'oublier l'histoire ; c'était d'ailleurs cet écueil que n'avait pas su éviter Tarantino. Chez Rodriguez, l'histoire est là, aussi abracadabrantesque que dans les nanars qui lui ont servi de modèles, avec une pincée d'actualisation, le lieutenant mutant ayant abattu Ben Laden ! Certes, la fluidité narrative n'arrive qu'en toute fin des priorités de Rodriguez, puisqu'il n'hésite pas à enflammer sa pellicule au moment de la scène torride entre Wray et sa copine unijambiste, quitte à passer un panneau annonçant pellicule manquante, et de reprendre le récit plus loin comme si de rien n'était.
On a donc un biochimiste fou, un mercenaire purulent, un limonadier minable, son frère shériff obsédé par la recette de la meilleure sauce barbecue, deux baby-sitters hystériques, le tout arrosé d'amputations, de castrations, de décapitations à l'hélicoptère et de diverses projections de sang et de pue. Rodriguez s'amuse comme un petit fou, et nous avec, peut-être un peu honteux de pouffer à ses blagues de potache ; mais après tout, comme le dit Wray, "Les éclopés, ça fait toujours marrer !", et la poursuite en mini-moto est un clin d'oeil ironique au slasher road-movie de son acolyte.
Dans ce type d'exercice de style, les citations sont forcément nombreuses, mais on pense bien sûr d'abord aux grand classiques parmi les films de zombies, "L'Invasion des Profanateurs de Sépultures" ou "La Nuit des Morts-vivants" ; le choix des acteurs est aussi révélateur de la volonté de rendre hommage : Michael Biehn, qui jouait le garde du corps de Sarah Connor dans "Terminator", ou Tom Savini, réalisateur d'un remake de "La Nuit des Morts-Vivants" et maquilleur de "Vendredi 13" ; quant à John Carpenter, déjà évoqué dans "Boulevard de la Mort" par la présence de Kurt Russell, il avait été pressenti pour signer la bande-son, finalement écrite par Rodriguez lui-même. Deux actrices jouent dans les deux films Grindhouse : Rose McGowan, bien loin des sorcières sophistiquées de Charmed, qui endosse deux personnages différents, et Marley Shelton, qui interprète dans les deux films le Dr Dakota Block, dans un registre très Goldie Hawn.
Quant à Tarantino, il s'est réservé un rôle particulièrement odieux, celui d'un milicien violeur et mutant, mais néanmoins cinéphile, puisqu'il relève la ressemblance de Cherry Darling avec Ava Gardner - enfin, tant que son visage n'a pas été éclaté par une balle. Grâce à un rythme soutenu et une inventivité renouvelée, "Planète Terreur" réussit souvent à dépasser la simple parodie gore, avec des ruptures de ton surprenantes, tel ce zoom avant sur le visage ruisselant de larmes de Cherry après sa dernière prestation de go-go danseuse, comme si elle avait le présentiment de ce qui allait arriver, et des dialogues efficaces plus inscrits dans l'action que ceux de "Boulevard de la Mort".
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