Ginger et Fred ne sont plus de ce monde ; Pipo et Amelia, si. Pipo moins qu’Amelia. Il agonise à petit feu auprès de cette compagne du passé et d'un amour qu'on ne dit pas. Couple mythique, immortalisé il y a longtemps mais qui se meurt pourtant, Pipo plus qu’Amelia. La télévision, c’est l’indifférence, c’est le toujours plus ; c’est le ridicule pour l’émotion, c’est tout montrer et ne pas se souvenir, le cerveau plein des images qui se succèdent sur l’écran. Elle, elle n’a rien perdu de sa candeur, c’est un nouveau monde, c’est tout. Lui, il est absent depuis longtemps, il appartient au monde qu’elle a quitté en le laissant seul après la gloire. Elle est un idéal qu’il implore mais elle ne l’entend pas. Les projecteurs ne s’attachent à lui que pour souligner sa déflagration et ses frayeurs, et ses faiblesses, et ses maladresses ; toutes ces choses qui faisaient rire avant, et dont les gens se moquent à présent. La mascarade à laquelle, de toute évidence, il ne participe que pour voir une dernière fois un sourire qui l’a laissé exsangue. La honte de ne pas s’en être sorti, comme elle, de ne pas avoir vécu, comme elle, de ne pas avoir su vivre, sans elle. Il essaie de lui dire avec les yeux, d’attirer l’attention, de faire semblant d’être celui qu’elle connaissait, qu’elle aimait ; elle ne voit pas dans ses yeux ; elle cherche dans ceux des autres la reconnaissance et l’admiration que nécessite ce passé d'un autre âge. Elle n’a pas besoin d’être rassurée et c’est pourtant elle que l’on rassure ; lui, il se laisse crever en silence à coté d’elle ; parfois il tousse : c’est comme un appel à l’aide qu’elle n’entend pas, qu’elle ne voit pas.
L'agonie de Pipo,c'est la leur à tous deux;l'aller sans retour d'une époque que l'on fait revivre,entre deux programmes, pour un second oubli qui eût été plus doux s'il n'avait pas été si vulgairement ravivé.
Si l'on sourit devant Ginger et Fred, c'est bel et bien d'un sourire triste, comme de ceux qui scellent un adieu définitif.