La démarche de Samuel Collardey est originale. Originaire du Haut-Doubs où a été tourné le film, il a d'abord écrit un scénario, et ensuite il est parti à la recherche de ses personnages, Paul, puis Mathieu. Cette démarche prolonge celle de son court métrage "Du Soleil en hiver", comme il l'explique lui-même : "L'idée du film de fin d'étude, c'était de filmer le réel en utilisant un dispositif de fiction (une caméra 35 mm, de la lumière, parfois même des travelings). Avec un copain producteur, on a décidé de poursuivre ce travail."
Certes, il explique qu'il a dû très vite ranger son scénario pour inventer le film au fur et à mesure. "Je proposais aux protagnistes des scènes, une action ou un sujet de conversation. Les dialogues n'étaient pas écrits, l'idée était juste que ce que je leur propose soit le plus proche possible de ce qu'ils vivent réellement." Ni documentaire ni non-fiction novel, cette démarche se rapproche finalement plus de celle de la téléréalité, à savoir de placer des non acteurs dans une situation de vie sous le regard de la caméra, et elle me pose un peu les mêmes problèmes.
Si certaines scènes rejouées réussissent à rendre la sincérité du moment, comme le remplissage du premier bilan hebdomadaire ou l'inuaguration de la luge bricolée avec de vieux skis, d'autres ne parviennent pas à faire oublier leur aspect artificiel, à la fois du point de vue de la forme (caméra fixe, frontale) et du point de vue du fond, avec des discussions dont on sent combien elles ont été provoquées, et même une gêne devant l'impudeur comme quand la mère de Mathieu s'effondre en pleurs sur son lit.
Du coup, quand la caméra nous montre un moment d'apparente vérité, le doute nous prend quand même pour savoir s'il ne s'agit que d'un artifice de scénario ou d'un événement réel de la vie des personnages (le bal avec la copine, la conversation entre Paul et Mathieu sur le père de ce dernier, le résultat du brevet au téléphone), et le fait d'apprendre que c'est Samuel Collardey qui a eu l'idée de faire apprendre à Mathieu à jouer à la guitare "Je te promets" de Johnny Hallyday n'est pas rassurant, vu l'importance que ce détail prend dans le récit.
Si on regarde malgré tout "L'Apprenti" comme un documentaire, on pense au travail de Denis Gheerbrant et de Nicolas Philibert, particulièrement "Etre et Avoir" dans la façon de ponctuer le récit de plans sur l'écoulement des saisons, ou de saisir des moments de rien qui dessinent un tout, comme un partie de jeu de société ou la mobilisation familiale autour des devoirs, la multiplication chez Philibert, la langueur monotone de Verlaine ici.
Heureusement, il y a Paul, avec ses moustaches à la José Bové, plus authentiquement pédagogue que M. Lopez, qui offre à Mathieu en supplément du quotidien du métier des leçons de vie ("C'est pas un religion, d'être paysan" ou "Faut pas exploiter la terre, faut la cultiver"). Plus que la volonté de scénariser l'absence du père ou la prise de risque de l'adolescence, ce sont des petits moments, des enjeux du quotidien captés par une superbe photographie qui font quand même le charme de ce film.
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