Pour sa première production américaine, l'expérimenté et reconnu cinéaste qu’est Bertrand Tavernier signe un policier de grande classe, qui confine souvent au drame psychologique. Avec un Tommy Lee Jones, comme d’habitude, tout à fait épatant et une bande-son aussi soignée que la photographie, il nous plonge pendant près de 2 heures en plein bayous de Louisiane, pour une enquête complexe, captivante et… brumeuse.
Autant le dire, Tavernier n’appartient pas du tout à la veine actuelle des réalisateurs français dans le mouv’ qui immigrent vers les Etats-Unis afin d’y signer leur première grosse prod internationale. Il tourne son œuvre loin des studios californiens, à l’endroit exact où le roman qu’il adapte déroule son histoire. A New Iberia, non loin de la Nouvelle-Orléans, une ville de Louisiane profondément ancrée dans ses racines francophones, et ravagée comme beaucoup d’autres, par l’ouragan Katrina. Tavernier imprègne superbement toute sa pellicule de la culture locale comme on imbibe un vêtement d’un parfum, et fait transpirer l’odeur de la brume marécageuse des bayous du coin comme si on y était. Les décors si singuliers de cet état américain pas vraiment comme les autres servent merveilleusement de cadre à son film, et ajoute énormément d’impact à l’atmosphère envoûtante et confuse de l’enquête. Sa mise en scène, élégante et d’une grande sobriété, sans effets psychédéliques ou artifices new-age, rappelle beaucoup celle de Clint Eastwood. A l’ancienne, méticuleuse, pleine de contrôle, sans esbroufe. Parfois même teintée d’onirisme et de poésie pour relever le tout, jouant habilement avec les affres du temps, le souvenir encore chaud d’un passé douloureux étant souvent le détonateur des événements présents. Grand passionné de musique qu’il est, l’ancien critique cinéma rythme son récit de quelques notes de contrebasse par-ci par-là et de subtils sons blues et jazzy. En même temps, quoi de plus normal pour bien coller avec l’esprit de l’endroit ? Devant sa caméra, Tommy Lee Jones est énorme de charisme et de prestance. Mais bon, pour cela aussi on pourrait dire quoi de plus normal ? Il confirme sa réputation de monstre du cinéma et son face-à-face avec le non moins excellent John Goodman (« The big Lebowski », « O’brother ») est savoureux, truffé de dialogues percutants. Les seconds rôles sont également de qualité, ne citons que pour l’exemple Peter Sarsgaard (« Esther », « Boys don’t cry »), remarquable en star de cinéma alcoolique et paumé. Le moindre aspect de chaque acteur, ses doutes, sa mélancolie, ses blessures nostalgiques, est extrêmement bien traité, et pas uniquement concernant Jones. « Dans la brume électrique » a tout d’un vrai polar, d’un grand film noir. Vraiment tout ? Non, malheureusement. Le scénario, à la cadence volontairement lourde, reste un peu nuageux. C’est de circonstance je sais, mais là, il est légèrement flou sur certains points de l’affaire, surtout lorsque l’on approche de la conclusion. On sent vraiment que l’intérêt est bien plus dirigé sur les personnages du film que sur son canevas, plus sur l'humain que sur la traque, et c’est (parfois) un peu dommage. Ce ne tue pas non plus le film, le scénario ne se perd pas non plus dans d’infinies fausses pistes ou retournements de situations rocambolesque à n’y plus rien comprendre. On aurait juste aimé qu’au niveau de l’élucidation progressive du mystère, les choses soit plus claires, plus montrées que suggérées, sans non plus forcément tomber dans l’hyper explicatif pour autant. Enfin vous voyez quoi !
Si il lui manque juste ce petit truc pour avoir l’envergure d’un réel chef-d’œuvre du polar, « Dans la brume électrique » reste tout de même un film prenant et intelligent d’une très classieuse beauté, quelques scènes étant vraiment géniales. Ce qui est sur, c’est que les inconditionnels des grands classiques du film noir seront servis.
D'autres articles, avec critiques, photos et anecdotes, sur mon blog...http://soldatguignol.blogs.allocine.fr