Je viens de relire ma critique de "Dans Paris", et je m'aperçois que ce que j'ai rédigé il y a sept mois correspond à ce que je m'apprêtais à écrire sur "Les Chansons d'Amour", à commencer par le choix de la photo d'illustration. Non seulement Christophe Honoré a la manie fatigante de citer les grands anciens de la Nouvelle Vague, mais maintenant il en arrive après quatre films à citer ses citations ! Comme pour "Dans Paris", le début du film est catastrophique : dialogues affligeants du type : "La guerre de trois n'aura pas lieu" "C'est moi le cheval ?", jeu insupportable de Louis Garrel encore plus mauvais dans le badin que dans le ténébreux, situations qui sonnent faux comme le repas de famille chez les parents de Julie. Le tout dans un périmètre Bastille-Gare de l'Est-Faubourg Saint-Martin, triangle du parisianisme bobo où les filles lisent Eurypide et Proust, et où les garçons déclament Aragon dans la rue.
Et puis, le film bascule avec la mort de Julie, filmée sous tension. Pendant que l'on voit Alice draguer un mec par dépit à l'intérieur de la boîte, on entend le dialogue des pompiers qui tentent en vain de réanimer Julie ; la gravité de la situation nous est suggérée par le visage de deux fêtards qui regardent ce qui se passent dans l'ambulance, hors-champ. A partir de cet instant, le film change de registre, et Christophe Honoré trouve le ton juste pour décrire certains moments du deuil, comme ce repas où Ismaël réussit à dissimuler sa douleur et arracher quelques sourires aux parents de Julie, avant que sa soeur ne lui assène "Je suis contente que tu ailles bien, ça nous porte tous", ou encore la rencontre d'Alice et de la mère de Julie.
Christophe Honoré fait référence à Demy en insérant des chansons composées par Alex Beaupain et chantées par les acteurs. On est plus du côté des "Parapluies de Cherbourg" que des "Demoiselles de Rochefort", à la fois par le style musical plus dépouillé et par la gravité du sujet. Et ce n'est pas un hasard si Chiara Mastroianni chante sous un parapluie, quelques décennies après sa mère...
Film inégal, parfois touchant et souvent agaçant, "Les Chansons d'Amour" pouvait légitimement représenter un certain cinéma français, intello et neo-germanopratin. Objet filmique d'un autre temps, il pouvait aussi légitimement ne rien attendre d'un Festival dont le palmarés a cherché à couronner la modernité et la prise en compte des problèmes de notre temps.