On a beaucoup reproché au film de Christophe Honoré, Chansons d'amour, lors de sa sortie à Cannes, son côté replié sur soi, plus particulièrement sur un monde privilégié et "gauche caviar" que même la soi disante fonction universelle de la chanson (on se souvient de Laurent Voulzy fredonnant "'toutes les chansons d'amour racontent la même histoire") n'aurait, dans cette pseudo comédie musicale, su dépasser.
Et pourtant, le film émeut. En interrogeant cette émotion, on se rend très vite compte que la démarche de "repli" sur un terrain de "je" égotique que l'on veut bien facilement attribuer à Honoré n'est pas si évidente. Au contraire, les personnages (portés par le talent incroyable de Louis Garrel, mais également de Ludivine Sagnier et Chiara Mastroianni) semblent s’approprier lieux, temps et mémoire au profit d’une intense et pertinente question sur l’existence moderne.
La ville, comme dans le précédant film du réalisateur, Dans Paris, est un lieu d'habitat où les personnages avancent et se déplacent vers les frontières post-modernes du récit cinématographique. Le lieu est désirable, voir sublimé, tel qu'on pourrait le percevoir en se promenant hagard, triste ou joyeux, au hasard d'une rue parisienne, un jour hivernal. Tout est filmé dans une sorte de climat éthéré qui prend spontanément de la distance avec les lieux, les surlignant avec finesse au passage. Ainsi, dès le générique liminaire, le décor s'installe malicieusement dans un clin d'oeil "nouvelle vague". En effet, on peut apercevoir, dans le relatif chaos des premiers plans, les célèbres monuments parisiens, la foule immense et anonyme des grandes villes, et même une vieille DS de collection faisant, anachronique, irruption dans le flux incessant. Simultanément, des panneaux blancs et larges indiquent les noms des gens de cinéma ayant participé au film : "Saigner, Garrel, Honoré,..." : dès les cinq premières minutes, on sent déjà l'âme tutélaire de Godard ou Truffaut derrière la caméra du jeune