La piel que habito, en tant qu'adaptation du roman Mygale rempli pleinement son rôle. À savoir un thriller décoiffant, original et touchant, qui joue sur la recherche d'identité des individus, à travers leur passé, leur présent, leurs émotions, leur enveloppe charnelle... Si le début peut apparaître très vague, au point que l'on ne sait pas du tout où le film va nous embarquer, cela n'est qu'évidence quand on comprend la conception non-linéaire du scénario, qui permet d'en renforcer la puissance. Pedro Almodovar livre donc une histoire que les images et les musiques font vivre avec une harmonie malsaine, harmonie qui fait toute la force du long-métrage.
Placé en tant que juge objectif des personnages, de leurs histoires, le spectateur est le seul à avoir une vue d'ensemble de tous les évènements qui composent le film. Et c'est pourtant cet observatoire tout-puissant qui permet au public de comprendre chaque personnage, d'avoir de l'empathie pour eux et de soutenir leurs décisions, car logiques au vu de ce qu'ils ont vécu ou de ce qu'ils vivent. Finalement, connaître cette vérité que personne ne connait réellement ne contribue pas à décrédibiliser les actes des uns et des autres, au contraire, mais à accepter le fait qu'il n'y a pas de bien ou de mal, mais uniquement des points de vue différents. En ayant accès à ces deux points de vue, nous ne sommes pas pour ou contre certains personnages, et c'est ce qui rend le film beau, car il ne joue pas sur la manipulation des émotions de manière primaire pour livrer un thriller à sens unique, mais il joue sur quelque chose de plus profond, d'impersonnel, qui devient plus marquant encore...
Bien entendu, le fait de livrer le film dans une construction qui n'est pas chronologique contribue à renforcer les surprises et l'impact d'un scénario pourtant déjà solide... Puisque le spectateur, malgré sa visibilité complète des actions, en découvre d'abord la fin, puis le début, et l'explication qui sert de rampe de lancement à cette histoire nous apparait qu'en fin de film, comme un électrochoc, contribuant à créer cette tension omniprésente et ce twist des plus intelligent... Victime d'une ellipse à grande échelle, on ne se sent pas pour autant manipulés comme de vulgaires pantins, à qui on aurait caché trop de choses, volontairement, pour les surprendre, de manière éphémère et sans réel impact.
Non, tout est bien organisé, que ce soit dans l'élaboration du scénario ou dans la manière de révéler un à un les indices de l'histoire, pour sortir du vulgaire thriller trop prévisible ou trop incomplet, et livrer une oeuvre qui se démarque surtout par sa profondeur émotionnelle et sa richesse en terme d'études psychologiques des personnages.
Ces personnages, incarnés de manière exemplaire par chacun des acteurs (mention spéciale ici à Elena Anaya, dont le rôle est bien plus compliqué qu'il n'y parait), sont tous complexes et empathiques, et leurs relations sont traités avec beaucoup de justesse. Seul petit bémol, l'apparition éclair de Roberto Alamo, dont le rôle n'est qu'un prétexte à un développement de l'histoire et qui ne marque donc pas forcément les esprits et reste une tâche ratée au rendu final...
La recherche d'identité est constante dans ce film, chaque personnage est perdu, et tente de retrouver son chemin vers une "normalité" qui semble à des années lumières de son état actuel. Un vent de folie souffle donc sur le long-métrage, mais qui n'est en rien incohérent ou irréaliste mais ancré dans la société moderne, avec toutes les interrogations et les complexités qu'elle apporte...
Pour rendre l'ambiance encore plus malsaine, Almodovar joue avec sa caméra de bien belle manière. Des plans au contact des individus, des mouvements furtifs qui correspondent à leurs états d'esprit, et une atmosphère constamment sombre, comme si l'emprisonnement des pensées était reflété à l'écran, se combinant à la perfection avec les expressions des personnages, toujours aussi "mortes".
Tout cela pour finir sur une touche de liberté, dont l'effet est multiplié par la musique qui prend place lors du générique, et qui rappelle combien elle a été imposante et parfaite durant tout le film...
La piel que habito se révèle sans hésitations comme l'un des thrillers les plus marquant de l'année, qui bénéficie d'une histoire solide et d'un traitement exemplaire de la part d'Almodovar... À découvrir sans attendre...